Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/190

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flexion B lui est égal. Le rayon réfléchi est B, e ; le cathète est la ligne pointillée ; l´intersection de cette ligne et du rayon réfléchi est en D : donc je dois voir l´objet en D ; mais je le vois en 'f', en 'g', quand mon œil est placé à peu près en h. Voilà, encore un coup, ce que nul opticien n’a éclairci.

L’évêque de Cloyne[1], savant anglais, est le seul, que je sache, qui ait porté la lumière dans ce petit coin de ténèbres. Il me semble qu’il prouve très-bien que nous ne connaissons point les distances ni les grandeurs par les angles, c’est-à-dire que ces angles ne sont point une cause immédiate du jugement prompt que nous portons des distances et des grandeurs, comme les configurations des parties des corps sont une cause immédiate des saveurs que nous sentons, et la dureté, cause immédiate du sentiment de résistance que nous éprouvons, etc.

Dans le cas présent, nous jugeons l´objet très-près, non à cause de ce point d’intersection qui n’en pourrait rendre raison, mais parce qu’en effet ce point d’intersection étant très-éloigné, l´objet doit paraître confus. Mais, comme nous sommes accoutumés à voir confusément un objet qui est trop près de nos yeux, l’objet, en cette expérience, devant paraître et paraissant confus, nous le jugeons à l’instant très-près.

Mais un homme qui aurait la vue si mauvaise qu’il ne pourrait absolument voir qu’à un doigt de ses yeux verrait très-loin (dans cette même expérience) cet objet que le miroir concave représente très-près aux yeux ordinaires.

C’est donc en cela l’expérience qui fait tout. De là mon Anglais conclut que nous ne pouvons apercevoir en aucune façon les distances ; nous ne pouvons les apercevoir par elles-mêmes ; . nous ne le pouvons par les angles optiques, puisque ces angles, sont en défaut dans plusieurs cas. Et non-seulement les distances, mais aussi les grandeurs, les situations des objets, ne sont point senties au moyen de ces angles : car si ces angles produisaient ces effets, ils les auraient produits dans l’aveugle-né à qui M. Cheselden abaissa les cataractes. Cet aveugle-né avait quinze ans quand Cheselden lui donna la vue ; il fut longtemps sans pouvoir distinguer si les objets étaient à un pas ou à une lieue de lui, s’ils étaient grands ou petits, etc. Cet aveugle semble décider la question ; mais j’ai bien peur moi-même d’être ici l’aveugle. En ce cas, vous serez mon Cheselden, et je vous écris. Domine, ut videam[2].

  1. George Berkeley, né en 1684, mort en 1753, auteur d’Alciphron ; voyez tome XXII page 383.
  2. Luc, xviii, 41.