Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/194

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nentes épîtres de Rousseau, où cet auteur des Aïeux chimériques et des plus mauvaises pièces de théâtre que nous ayons osé donner des règles sur la comédie. J’ai voulu faire voir à ce docteur flamand que la comédie pouvait très-bien réunir l´intéressant et le plaisant. Le pauvre homme n’a jamais connu ni l´un ni l’autre, parce que les méchants ne sont jamais ni gais ni tendres.

Ce petit essai m’a assez réussi. La pièce a été jouée vingt-deux fois, et n’a été interrompue que par la maladie d’une actrice ; mais je ne la ferai imprimer qu’après mûre délibération. J’ai envoyé à M. d’Argental le manuscrit ; il vous le fera tenir.

M. et Mlle Linant vous assurent de leurs respects, et ils auraient dû vous parler toujours sur ce ton ; je crois qu’ils sont l’un et l’autre dans la seule maison et dans la seule place où ils pussent être. L’extrême paresse de corps et d’esprit est l’apanage de cette famille : avec cela on meurt partout de faim ; c’est un talent sur pour manquer de tout. Vous riez apparemment quand vous lui conseillez de faire des tragédies. Il y a quatre ans que vous devez vous apercevoir qu’il n’est bon qu’à faire du chyle. Il a de l’esprit, mais un esprit inutile à lui et aux autres. J’ai fait ce que j’ai pu pour le frère et la sœur ; mais je ne m’aveugle pas en leur faisant du bien, et je vois Linant de trop près pour ne vous pas assurer qu’il ne fera jamais rien.

Eh bien ! mon cher ami, vous coupez donc des forêts, vous abattez ces arbres que vous avez incrustés de C et de toutes les autres lettres de l´alphabet, car vous avez mêlé plus d’un chiffre avec le vôtre : tantôt c’est Chloé, tantôt c’est Lycoris ou Glycère qui a eu le cœur de l’Horace de Rouen. Vous songez donc maintenant à vous arrondir. Mais quand vous aurez fait tous vos contrats, et que vous serez las de votre maîtresse, il faut venir voir l’héroïne et le palais de Cirey ; nous cacherons les compas et les quarts de cercle, et nous vous offrirons des fleurs.

Je vous ai parlé de persécutions dans ma lettre. Savez-vous bien que le Mondain a été traité d’ouvrage scandaleux, et vous douteriez-vous qu’on eût osé prendre ce misérable prétexte pour m’accabler encore ? Dans quel siècle vivons-nous ! et après quel siècle ! Faire à un homme un crime d’avoir dit qu’Adam avait les ongles longs, traiter cela sérieusement d’hérésie[1] ! Je vous avoue que je suis outré, et qu’il faut que l’amitié soit bien puissante

  1. La police avait biffé les mots exorciser et patriarche, dans l’Enfant prodigue. (Cl.