Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/197

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Voilà la grâce que vous demande celui qui vous a aimé dès votre enfance, qui a vu un des premiers tout ce que vous deviez valoir un jour, et qui vous aime avec d’autant plus de tendresse que vous avez passé toutes ses espérances.

Soyez aussi heureux que vous méritez de l’être, et à la cour, et en amour. Vous êtes né pour plaire, même à vos rivaux. Je serai consolé de tout ce qu’on me fait souffrir si j’apprends au moins que la fortune continue à vous rendre justice. Comptez qu’il n’y a pas deux personnes que votre bonheur intéresse plus que moi.

Permettez-moi de présenter mes respects à Mme  de Tressan et à Mme  de Genlis[1]. Vous m’écriviez :

Formosam resonare doces Àmaryllida silvas ;

(Virg., egl. i, v. 5.)

faudra-t-il que je réponde :

Nos patriam fugimus ? …

Adieu, Pollion ; adieu, Tibulle. On me traite comme Bavius.


697. — À M. LE MARQUIS D’ARGENS.
À Cirey, le 10 décembre.

J’attends avec bien de l’impatience, monsieur, le nouvel ouvrage que vous m’avez annoncé. J’y trouverai sûrement ces vérités courageuses que les autres hommes osent à peine penser. Vous êtes né pour faire bien de l’honneur aux lettres, et, j’ose dire, à la raison humaine.

L’habitude que vous avez prise de si bonne heure de mettre vos pensées par écrit est excellente pour fortifier son jugement et ses connaissances. Quand on ne réfléchit que pour soi, et comme en passant, on accoutume son esprit à je ne sais quelle mollesse qui le fait languir à la longue ; mais quand on ose, dans une si grande jeunesse, se recueillir assez pour écrire en philosophe et penser pour soi et pour le public, on acquiert bientôt une force de génie qui met au-dessus des autres hommes. Continuez à faire un si noble usage du loisir que peut vous lais-

  1. Parente de Tressan, dont la mère, Louise-Madeleine Brulart de Genlis, était morte en 1733. (Cl.)