Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/202

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quelqu’un qui a fait tout pour moi, qui a quitté pour moi Paris, tous ses amis, et tous les agréments de la vie, quelqu’un que j´adore et que je dois adorer, vous sentez bien ce que j’éprouve : l’état est horrible. Je partirais avec une joie inexprimable ; j’irais voir le prince de Prusse, qui m’écrit souvent pour me prier d’aller à sa cour ; je mettrais entre l’envie et moi un assez grand espace pour n’en être plus troublé ; je vivrais dans les pays étrangers, en Français qui respectera toujours son pays ; je serais libre, et je n’abuserais point de ma liberté ; je serais le plus heureux homme du monde ; mais votre amie est devant moi, qui fond en larmes. Mon cœur est percé. Faudra-t-il la laisser retourner seule dans un château qu’elle n’a bâti que pour moi, et me priver de ce qui est la consolation de ma vie parce que j’ai des ennemis à Paris ? Je suspens, dans mon désespoir, mes résolutions ; j’attendrai encore que vous m’ayez instruit de l’excès de fureur où l’on peut se porter contre moi.

C’est bien, assurément, réunir l’absurdité de l’âge d’or et la barbarie du siècle de fer, que de me menacer pour un tel ouvrage. Il faut donc qu’on l’ait falsifié. Enfin je ne sais que croire. Tout ce que je sais, c’est que je voudrais être ignoré de toute la terre, et n’être connu que de vous et de votre amie. Elle était déterminée, à neuf heures du soir, à me laisser partir ; mais, moi, je vous dis, à quatre heures du matin, à présent de concert avec elle : Faites tout ce que vous croyez convenable. Si vous jugez l’orage trop fort, mandez-le-nous à l’adresse ordinaire, et j’achèverai ma route ; si vous le croyez calmé véritablement, je resterai. Mais quelle vie affreuse ! Être éternellement bourrelé par la crainte de perdre, sans forme de procès, sa liberté sur le moindre rapport, j’aimerais mieux la mort. Enfin je m’en rapporte à vous ; voyez ce que je dois faire. Je suis épuisé de lassitude, accablé de chagrin et de maladie. Adieu ; je vous embrasse mille fois, vous et votre aimable frère.

Pourquoi Mlle Quinault ne m’aime-t-elle pas assez pour daigner recevoir un colifichet[1] de ma part ?


702. — À MADAME DE CHAMPBONIN.
De Givet[2], Décembre.

M. de Champbonin, madame, a un cœur fait comme le vôtre ; il vient de m’en donner une preuve bien sensible. Je me flatte que

  1. La pendule d’or moulu dont il s’est agi plus haut, lettre 698.
  2. Petite ville du département de la Meuse, sur la route de Vassy à Bruxelles.