Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/204

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çais comme nos meilleurs écrivains. Quelle différence entre les hommes ! Louis XIV était un grand roi, je respecte sa mémoire ; mais il ne parlait pas aussi humainement que vous, monseigneur, et ne s’exprimait pas de même. J´ai vu de ses lettres ; il ne savait pas l’orthographe de sa langue[1]. Berlin sera, sous vos auspices, l´Athènes de l´Allemagne, et pourra l´être de l’Europe. Je suis ici dans une ville où deux simples particuliers, M. Boerhaave d’un côté, et M, S’Gravesande de l’autre, attirent quatre ou cinq cents étrangers. Un prince tel que vous en attirera bien davantage, et je vous avoue que je me tiendrais bien malheureux si je mourais avant d’avoir vu l’exemple des princes et la merveille de l’Allemagne,

Je ne veux point vous flatter, monseigneur, ce serait un crime ; ce serait jeter un souffle empoisonné sur une fleur ; j’en suis incapable ; c’est mon cœur pénétré qui parle à Votre Altesse royale.

J’ai lu la Logique de M. Wolff, que vous avez daigné m’envoyer ; j’ose dire qu’il est impossible qu’un homme qui a les idées si nettes, si bien ordonnées, fasse jamais rien de mauvais. Je ne m’étonne plus qu’un tel prince aime un tel philosophe. Ils étaient faits l’un pour l’autre. Votre Altesse royale, qui lit ses ouvrages, peut-elle me demander les miens ? Le possesseur d’une mine de diamants me demande des grains de verre ; j’obéirai, puisque c’est vous qui ordonnez.

J’ai trouvé, en arrivant à Amsterdam, qu’on avait commencé une édition[2] de mes faibles ouvrages. J’aurai l’honneur de vous envoyer le premier exemplaire. En attendant, j’aurai la hardiesse d’envoyer à Votre Altesse royale un manuscrit[3] que je n’oserais jamais montrer qu’à un esprit aussi dégagé des préjugés, aussi philosophe, aussi indulgent, que vous l’êtes, et à un prince qui mérite, parmi tant d’hommages, celui d’une confiance sans bornes. Il faudra un peu de temps pour le revoir et le transcrire, et je le ferai partir par la voie que vous m’indiquerez. Je dirai alors :

Parve (sed invideo), sine me, liber, ibis ad illum.

(Ovid., Trist., I, elog. i, v. 1.)
  1. Les trois derniers mots ne sont pas inutiles : le grand Frédéric ne savait pas l’orthographe de la langue française, ou du moins ne l’écrivait pas. On peut voir des échantillons de son style dans les Souvenirs de Formey, I. 131 et 353. Voltaire appelait cela des fautes de doigt. Voyez sa lettre à Frédéric, de janvier 1738. (B.)
  2. C’est l’édiiion dont il est parlé dans une note sur la lettre 574.
  3. Le Traité de Métaphysique : voyez tome XXII, page 189.