Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Métaphysique de M. Wolff, et j’ose vous dire que Votre Altesse royale a bien l´air de l’avoir traduite elle-même. Vous m’envoyez M, de Borcke dans le sein de ma solitude : vous savez combien un homme digne de votre bienveillance doit m’être cher. Je reçois à la fois quatre lettres[1] de Votre Altesse royale ; le buste de Socrate est à Cirey : je suis ébloui de tant de biens ; j´ai une peine extrême à me recueillir assez pour vous remercier.

Les grandes passions parleront les premières : ces passions, monseigneur, sont vous et les vers :

Moderne Alcibiade, aimable et grand génie,
Sans avoir ses défauts, vous avez ses vertus :
Protecteur de Socrate, ennemi d’Anitus,
Vous ne redoutez point qu’on vous excommunie.
Je ne suis point Socrate ; un oracle des dieux
Ne s’avisa jamais de me déclarer sage,
Et mon Alcibiade est trop loin de mes yeux.
C’est vous que j’aimerais, vous qui seriez mon maître,
Vous, contre la ciguë illustre et sûr appui,
Vous, sans qui tôt ou tard un Anitus, un prêtre,
Pourrait dévotement m’immoler comme lui.

Monseigneur, autrefois Auguste fit des vers pour Horace et pour Virgile, mais Auguste s’était souillé par des proscriptions ; Charles IX fit des vers, et même assez jolis[2], pour Ronsard, mais Charles IX fut coupable d’avoir au moins permis la Saint-Barthélemy, pire que les proscriptions. Je ne vous comparerai qu´a notre Henri le Grand, à François 1er[3]. Vous savez sans doute, monseigneur, cette charmante chanson de Henri le Grand pour sa maîtresse :

Recevez ma couronne,
Le prix de ma valeur ;
Je la tiens de Bellone :
Tenez-la de mon cœur.

Voilà des modèles d’hommes et de rois ; et vous les surpasserez. M. de Borcke a ému mon cœur par tout ce qu’il m’a dit de Votre Altesse royale ; mais il ne m’a rien appris.

Vous sentez bien, monseigneur, que j’ai dû recevoir vos lettres très-tard, attendu mon voyage. Enfin Mme  du Chàtelet les a reçues

  1. Ce sont les lettres 705, 710, 715, et 718 : c’est ce qui a décidé Beuchot à placer en février cette lettre, qui a été tantôt datée de janvier, tantôt de mars.
  2. Voyez tome XVIII, page 142.
  3. Voyez la note, tome XX, page 382.