Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autres catholiques, une espèce de sacrement que nous appelons la confirmation ; nous y choisissons un saint pour être notre patron dans le ciel, notre espèce de Dieu tutélaire : je voudrais bien savoir pourquoi il me serait permis de me choisir un petit dieu plutôt qu’un roi ? Vous êtes fait pour être mon roi, bien plus assurément que saint François d’Assise ou saint Dominique ne sont faits pour être mes saints. C’est donc à mon roi que j’écris, et je vous apprends, rex amate, que je suis revenu dans votre petite province de Cirey où habitent la philosophie, les grâces, la liberté, l’étude. Il n’y manque que le portrait de Votre Majesté. Vous ne nous le donnez point ; vous ne voulez point que nous ayons des images pour les adorer, comme dit la sainte Écriture[1].

J’ai vu encore le Socrate dont Votre Altesse royale m’a daigné faire présent : ce présent me fait relire tout ce que Platon dit de Socrate. Je suis toujours de mon premier avis :

La Grèce, je l’avoue, eut un brillant destin ;
Mais Frédéric est né : tout change ; je me flatte
Qu’Athènes, quelque jour, doit céder à Berlin ;
Et déjà Frédéric est plus grand que Socrate,

aussi dégagé des superstitions populaires, aussi modeste qu’il était vain. Vous n’allez point dans une église de luthériens vous faire déclarer le plus sage de tous les hommes ; vous vous bornez à faire tout ce qu’il faut pour l’être. Vous n’allez point de maison en maison, comme Socrate, dire au maître qu’il est un sot, au précepteur qu’il est un âne, au petit garçon qu’il est un ignorant ; vous vous contentez de penser tout cela de la plupart des animaux qu’on appelle hommes, et vous songez encore, malgré cela, à les rendre heureux.

J’ai à répondre aux critiques que Votre Altesse royale a daigné me faire dans une de ses lettres[2], au sujet des anciens Romains qui, dans les

champs de Mars.
Portaient jadis du foin pour étendards[3].

Le colonel du plus beau régiment de l’Europe a peine à consentir que les vainqueurs de la sixième partie de notre continent n’aient pas toujours eu des aigles d’or à la tête de leurs armées.

  1. Lévitique, xxvi, I.
  2. Celle du 23 janvier, n" 715.
  3. Vers de la Défense du Mondain, voyez tome X.