Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/254

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l’expliquer, je suis obligé d’entrer dans un détail que je tâcherai d’abréger autant qu’il me sera possible.

Il y a quelues années qu’on trouva dans un manuscrit du Vatican l’histoire de Romulus et de Rémus, rapportée d’une manière toute diférente de celle dont elle nous est connue. Ce manuscrit fait foi que Rémus s’échappa des poursuites de son frère, et que, pour se dérober à sa jalouse fureur, il se réfugia dans les provinces septentrionales de la Germanie, vers les rives de l’Elbe ; qu’il y bâtit une ville située auprès d’un grand lac, à laquelle il donna son nom ; et que, après sa mort, il fut inhumé dans une Ile qui, s’élevant du sein des eaux, forme une espèce de montagne au milieu du lac.

Deux moines sont venus ici, il y a quatre ans, de la part du pape, pour découvrir l’endroit que Rémus a fondé, selon la description que je viens d’en faire. Ils ont jugé que ce devait être Remusberg, ou comme qui dirait mont Rémus. Ces bons clercs ont fait creuser dans l’île, de toutes parts, pour découvrir les cendres de Rémus. Soit qu’elles n’aient pas été conservées assez soigneusement, ou que le temps, qui détruit tout, les ait confondues avec la terre, ce qu’il y a de sûr, c’est qu’ils n’ont rien trouvé.

Une chose qui n’est pas plus avérée que celle-là, c’est que, il y a environ cent ans, en posant les fondements de ce château, on trouva deux pierres sur lesquelles était gravée l’histoire du vol des vautours. Quoique les figures aient été fort effacées, on en a pu reconnaître quelque chose. Nos gothiques aïeux, malheureusement fort ignorants, et peu curieux des antiquités, ont négligé de nous conserver ces précieux monuments de l’histoire, et nous ont par conséquent laissé dans une incertitude obscure sur la vérité d’un fait aussi important.

On a trouvé, il n’y a pas trois mois, en remuant la terre dans le jardin, une urne et des monnaies romaines, mais qui étaient si vieilles que le coin en était quasi tout effacé. Je les ai envoyées à M. de Lacroze ; il a jugé que leur antiquité pouvait être de dix-sept à dix-huit siècles.

J’espère, monsieur, que vous me saurez gré de l’anecdote que je viens de vous apprendre, et que, en sa faveur, vous excuserez l’intérêt que je prends à tout ce qui peut regarder l’histoire d’un des fondateurs de Rome, dont je crois conserver la cendre. D’ailleurs on ne m’accuse point de trop de crédulité. Si je pèche, ce n’est pas par superstition.

Ma foi, se défiant même du vraissemblable,
En évitant l’erreur cherche la vérité.
Le grand, le merveilleux, approchent de la fable ;
Le vrai se reconnaît à la simplicité.

L’amour de la vérité et l’horreur de l’injustice m’ont fait embrasser le parti de M. Wolff. La vérité nue a peu de pouvoir sur l’esprit de la plupart des hommes ; pour se montrer, il faut qu’elle soit revétue du rang, de la dignité, et de la protection des grands.

L’ignorance, le fanatisme, la superstition, un zèle aveugle, mêle de jalousie,