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ont poursuivi M. Wollf[1]. Ce sont eux qui lui ont imputé des crimes, jusqu’à ce qu’enfin le monde commence d’apercevoir l’aurore de son innocence.

Je ne veux point m’arroger une gloire qui ne m’est point due, ni tirer vanité d’un mérite étranger. Je peux vous assurer que je n’ai point traduit la Métaphysique de M. Wolff ; c’est un de mes amis[2] à qui l’honneur en est dû. Un enchaînement d’événements l’a conduit en Russie, où il est depuis quelques mois, quoiqu’il mérite un sort meilleur. Je n’ai d’autre part à cet ouvrage que de l’avoir occasionné, et celui de la correction. Le copiste tient le reste de cette traduction : je l’attends tous les jours ; vous l’aurez dans peu.

Le souvenir d’Émilie m’est bien flatteur. Je vous prie de l’assurer que j’ai des sentiments très-distingués pour elle.

Car l’Europe la compte au rang des plus grands hommes.

({{sc|Henriade, ch. II, v. 70.)

Que pourrais-je refuser à Newton-vénus[3], à la plus haute science revêtue des agréments de la beauté, des charmes de la jeunesse, des grâces et des appas ? La marquise du Châtelet veut mon portrait (ce serait à moi à lui demander le sien) ; j’y souscris. Chaque trait de pinceau fera foi de l’admiration que j’ai pour elle.

J’envoie cette lettre par le canal du sieur Dubreuil, à l’adresse que vous m’avez indiquée. Je crois qu’il serait bon de prendre des mesures avec le maître de poste de Trêves pour régler notre petite correspondance. J’attendrai que vous ayez pris des arrangements avec lui avant de me servir de cette voie.

Quand est-ce que le plus grand homme de la France n’aura plus besoin de tant de précautions ? Est-ce que vos compatriotes seront les seuls à vous dénier la gloire qui vous est due ? Sortez de cette ingrate patrie, et venez dans un pays où vous serez adoré. Que vos talents trouvent un jour dans cette nouvelle Athènes leur rémunérateur.

Amène dans ces lieux la foule des beaux-arts,
Fais-nous part du trésor de ta philosophie ;
Des peuples de savants suivront tes étendards ;
Éclaire-les du feu de ton puissant génie.
Les myrtes, les lauriers, soignés dans ce canton,
Attendent que, cueillis par les mains d’Émilie,
Ils servent quelque jour à te ceindre le front.
J’en vois crever Rousseau de fureur et d’envie.

Je viens de recevoir l’Enfant Prodigue. Il est plein de beaux endroits ; il n’y manque que la dernière main.

  1. Voyez, à ce sujet, la section ii de l’article Chine du Dictionnaire philosophique.
  2. Suhm ; voyez la note sur la lettre 705.
  3. Les éditions de Liège et de Bâle (voyez une note de la lettre 718) donnent cette singulière version : « Que pourrais-je refuser à Newton venu à la plus haute science, revêtu des agréments de la beauté, des charmes et des grâces de la jeunesse ? J’envoie cette lettre, etc. » (B.)