Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/269

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Suppléent par leurs soins à mon peu de pratique,
Ornent de mille fleurs mon ode prosaïque,
Et font voir, par l’effet d’un assez rare effort,
Que ce que vous touchez se convertit en or.

Je passe à présent à la philosophie. Vous suivez en tout la route des grands génies, qui, loin de se sentir animés d’une basse et vile jalousie, estiment le mérite où ils le rencontrent, et le prisent sans prétention. Je vous fais des compliments à la place de M. Wolff, sur la manière avantageuse dont vous vous expliquez sur son sujet. Je vois, monsieur, que vous avez très-bien compris les difficultés qu’il y a sur l’être simple. Souffrez que j’y réponde.

Les géomètres prouvent qu’une ligne peut être divisée à l’infini ; que tout ce qui a deux côtés ou deux faces, ce qui revient au même, peut l’être également. Mais, dans la proposition de M. Wolff, il ne s’agit, si je ne me trompe, ni de lignes ni de points ; il s’agit des unités ou parties indivisibles qui composent la matière.

Personne ne peut ni ne pourra jamais les apercevoir : donc on n’en peut avoir d’idées, car nous n’avons d’idées nettes que des choses qui tombent sous nos sens. M. Wolff dit tout ce que l’être simple n’est pas ; il écarte l’espace, la longueur, la largeur, etc., avec beaucoup de précaution, pour prévenir le raisonnement des géomètres qui n’est plus applicable à son être simple, parce qu’il n’a aucune propriété de la matière. Notre philosophie se sert de l’artifice de saint Paul, qui, après nous avoir promenés jusque dans le sanctuaire des cieux, nous abandonne à notre propre imagination, suppléant par le terme d’ineffable à ce qu’il n’aurait pu expliquer sans donner prise sur lui.

Il me semble cependant qu’il n’y a rien de plus vrai que toute chose composée doit avoir des parties. Ces parties en peuvent avoir à leur tour autant que vous en voudrez imaginer. Mais enfin il faut pourtant qu’on trouve des unités, et, faute de n’avoir pas l’organe des yeux et de l’attouchement assez subtil, faute d’instruments assez délicats, nous ne décomposerons jamais la matière jusqu’à pouvoir trouver ces unités.

Que vous représentez-vous quand vous pensez à un régiment composé de quinze cents hommes ? Vous vous représentez ces quinze cents hommes comme autant d’unités ou comme autant d’individus réunis sous un même chef. Prenons un de ces hommes seul : je trouve que c’est un être fini, qui a de l’étendue, largeur, épaisseur, etc. ; que cet être a des bornes, et par conséquent une figure[1] ; je trouve qu’il est divisible à l’infini. Pourrait-il être un être fini et infini en même temps ? Non, car cela implique contradiction. Or, comme une chose ne saurait être et ne pas être en même temps, il faut nécessairement que l’homme ne soit pas infini : donc il n’est pas divisible à l’infini ; donc il y a des unités qui, prises ensemble, font des nombres composés, et ce sont ces nombres, dès qu’ils sont composés, qu’on nomme matière.

  1. Variante des Œuvres posthmmes : « Je trouve qu’il est divisible (l’expérience le prouve) ; mais je ne saurais dire qu’il est divisible à l’infini. »