Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/338

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dement juge être les meilleures, de même qu’une balance est toujours emportée par le plus grand poids. Voici la façon dont les chaînons de notre chaîne tiennent les uns aux autres.

Les idées, tant de sensation que de réflexion, se présentent à vous, soit que vous le vouliez ou que vous ne le vouliez pas : car vous ne formez pas vos idées vous-même. Or, quand deux idées se présentent à votre entendement, comme, par exemple, l’idée de vous coucher et l’idée de vous promener, il faut absolument que vous vouliez l’une de ces deux choses, ou que vous ne vouliez ni l’une ni l’autre. Vous n’êtes donc pas libre, quant à l’acte même de vouloir.

De plus, il est certain que si vous choisissez, vous vous déciderez sûrement pour votre lit ou pour la promenade, selon que votre entendement jugera que l’une ou l’autre de ces deux choses vous est utile et convenable ; or votre entendement ne peut juger bon et convenable que ce qui lui paraît tel. Il y a toujours des différences dans les choses, et ces différences déterminent nécessairement votre jugement, car il vous serait impossible de choisir entre deux choses indiscernables, s’il y en avait. Donc toutes vos actions sont nécessaires, puisque, par votre aveu même, vous agissez toujours conformément à votre volonté, et que je viens de vous prouver : 1° que votre volonté est nécessairement déterminée par le jugement de votre entendement ; 2° que ce jugement dépend de la nature de vos idées ; et enfin 3° que vos idées ne dépendent point de vous.

Comme cet argument, dans lequel les ennemis de la liberté mettent leur principale force, a plusieurs branches, il y a aussi plusieurs réponses :

1° Quand on dit que nous ne sommes pas libres quant à l’acte même de vouloir, cela ne fait rien à notre liberté, car la liberté consiste à agir ou ne pas agir, et non pas à vouloir et à ne vouloir pas.

2° Notre entendement, dit-on, ne peut s’empêcher de juger bon ce qui lui paraît tel ; l’entendement détermine la volonté, etc. Ce raisonnement n’est fondé que sur ce qu’on fait, sans s’en apercevoir, autant de petits êtres de la volonté et de l’entendement, lesquels on suppose agir l’un sur l’autre, et déterminer ensuite nos actions. Mais c’est une méprise qui n’a besoin que d’être aperçue pour être rectifiée : car on sent aisément que vouloir, juger, etc., ne sont que différentes fonctions de notre entendement. De plus, avoir des perceptions, et juger qu’une chose est vraie et raisonnable, lorsqu’on voit qu’elle l’est effectivement,