Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/343

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plus incompréhensible pour nous que son ubiquité, sa durée infinie déjà écoulée, sa durée infinie à venir, et tant de choses qu’il nous sera toujours impossible de nier et de connaître. Les attributs infinis de l’Être suprême sont des abîmes où nos faibles lumières s’anéantissent. Nous ne savons et nous ne pouvons savoir quel rapport il y a entre la prescience du Créateur et la liberté de la créature ; et, comme le dit le grand Newton. Ut cœcus ideam non habet colorum, sic nos ideam non habemus modorum quibus Deus sapientissimus sentit et intelligit omnia ; ce qui veut dire en français : « De même que les aveugles n’ont aucune idée des couleurs, ainsi nous ne pouvons comprendre la façon dont l’Ètre infiniment sage voit et connaît toutes choses. »

4° Je demanderais de plus à ceux qui, sur la considération de la prescience divine, nient la liberté de l’homme, si Dieu a pu créer des créatures libres. Il faut bien qu’ils répondent qu’il l’a pu : car Dieu peut tout, hors les contradictions ; et il n’y a que les attributs auxquels l’idée de l’existence nécessaire de l’indépendance absolue est attachée, dont la communication implique contradiction. Or la liberté n’est certainement pas dans ce cas : car, si cela était, il serait impossible que nous nous crussions libres, comme il l’est que nous nous croyions infinis, tout-puissants, etc. Il faut donc avouer que Dieu a pu créer des choses libres, ou dire qu’il n’est pas tout-puissant, ce que, je crois, personne ne dira. Si donc Dieu a pu créer des êtres libres, on peut supposer qu’il l’a fait ; et si créer des êtres libres et prévoir leur détermination était une contradiction, pourquoi Dieu, en créant des êtres libres, n’aurait-il pas pu ignorer l’usage qu’ils feraient de la liberté qu’il leur a donnée ? Ce n’est pas limiter la puissance divine que de la borner aux seules contradictions. Or, créer des créatures libres, et gêner de quelque façon que ce puisse être leur détermination, c’est une contradiction dans les termes, car c’est créer des créatures libres et non libres en même temps. Ainsi il s’ensuit nécessairement du pouvoir que Dieu a de créer des êtres libres que, s’il a créé de tels êtres, sa prescience ne détruit point leur liberté, ou bien qu’il ne prévoit pas leurs actions ; et celui qui, sur cette supposition, nierait la prescience de Dieu, ne nierait pas plus sa toute-science que celui qui dirait que Dieu ne peut pas faire ce qui implique contradiction ne nierait sa toute-puissance.

Mais nous ne sommes pas réduits à faire cette supposition : car il n’est pas nécessaire que je comprenne la façon dont la prescience divine et la liberté de l’homme s’accordent, pour