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814. — À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
(Cirey) janvier.

Monseigneur, je reçois à la fois les plus agréables étrennes qu’on ait jamais reçues : deux bons gros paquets[1] de Votre Altesse royale, l’un venant par la voie de M. Thieriot, l’autre par celle de M. Plötz, capitaine dans votre régiment, qui m’adresse son paquet de Lunéville. C’est par ce même M. Plötz que j’ai l’honneur de faire réponse à Votre Altesse royale, le même jour ou plutôt la même nuit : car j’ai passé une bonne partie de cette nuit à lire vos vers que ces deux paquets contiennent, et la prose très-instructive sur la Russie.

Soyez bien sur, monseigneur, que vos vers font grand tort à cette prose, et que nous aimons mieux quatre rimes signées Fédéric, que tout le détail de l’empire des Russes, que l’Histoire universelle. Ce n’est pas parce que ces vers louent Émilie et moi, ce n’est pas par l’honneur qu’ont ces vers français d’être de la façon d’un héritier d’une couronne d’Allemagne ; la vérité est qu’il y en a réellement beaucoup de très-jolis, de très-bien faits, et du meilleur ton du monde. Mme du Châtelet, qui, jusqu’à présent, n’a été que philosophe, va devenir poëte pour vous répondre[2]. Pour moi, je suis si plein de vos présents, monseigneur, que je ne sais de quoi vous parler d’abord. Nous n’avons pu encore lire le tout que très-rapidement ; mais au premier coup d’œil, nous avons donné la préférence à la petite pièce en vers[3] de huit syllabes, qui est un parallèle de votre vie retirée et libre avec celle qu’il faudra malheureusement que vous meniez un jour.

Je suis persuadé d’une chose, dites-moi si je me trompe : c’est que cet ouvrage vous a moins coûté que les autres. Il respire la facilité de génie, l’aisance, les grâces. Il me paraît, de plus, que c’est de tous les styles celui qui convient peut-être le mieux à un prince tel que vous, parce qu’il est plein de cette liberté et de ces agréments que vous répandez dans la société qui a l’honneur de vous entourer. Ce style ne sent point le travail d’un homme trop occupé de la poésie. Les autres ouvrages ont leur prix ; j’aurai l’honneur de vous en parler dans ma première

  1. L’un de ces paquets renfermait la lettre 790, du 13 novembre 1737.
  2. Voyez une note sur la lettre 790.
  3. L’Épître sur la Retraite.