Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/397

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collatéraux. Oser leur dire qu’il y a parmi leurs prédécesseurs des hommes peu vertueux, et, par conséquent, fort méprisables, c’est leur faire une injure qu’ils ne pardonnent jamais ; et malheur à l’auteur profane qui a eu la témérité d’entrer dans le sanctuaire de leur histoire, et de divulguer l’opprobre de leur maison ! Si cette délicatesse s’étendait à maintenir la réputation de leurs ancêtres du côté maternel, encore pourrait-on trouver des raisons valables pour leur inspirer un zèle aussi ardent ; mais de prétendre que cinquante ou soixante aïeux aient tous été les plus honnêtes gens du monde, c’est renfermer la vertu dans une seule famille, et faire une grande injure au genre humain.

J’eus l’étourderie de dire une fois assez inconsidérément, en présence d’une personne, que monsieur un tel avait fait une action indigne d’un cavalier. Il se trouva, pour mon malheur, que celui dont j’avais parlé si librement était le cousin germain de l’autre, qui s’en formalisa beaucoup. J’en demandai la raison, on m’en éclaircit, et je fus obligé de passer par tout un détail généalogique, pour reconnaître en quoi consistait ma sottise. Il ne me restait d’autre ressource qu’à sacrifier à la colère de celui que j’avais offensé tous mes parents qui ne méritaient point de l’être. On m’en blâma fort ; mais je me justifiai en disant que tout homme d’honneur, tout honnête homme était mon parent, et que je n’en reconnaissais point d’autres.

Si un particulier se sent si grièvement offensé de ce qu’on peut dire de mal de ses parents, à quel emportement un souverain[1] ne se livrerait-il pas s’il apprenait le mal qu’on dit d’un parent qui lui est respectable, et dont il tient toute sa grandeur !

Je me sens très-peu capable de censurer vos ouvrages. Vous leur imprimez un caractère d’immortalité auquel il n’y a rien à ajouter ; et, malgré l’envie que j’ai de vous être utile, je sens bien que je ne pourrai jamais vous rendre le service que la servante de Molière lui rendait lorsqu’il lui lisait ses ouvrages.

Je vous ai dit mes sentiments sur la tragédie de Mérope, qui, selon le peu de connaissance que j’ai du théâtre et des règles dramatiques, me parait la pièce la plus régulière que vous ayez faite. Je suis persuadé qu’elle vous fera plus d’honneur qu’Alzire. Je vous prierai de m’envoyer la correction des fautes de copiste que je marque[2].

J’essayerai de la voie de Trêves, selon que vous me le marquez, et j’espère que vous aurez soin de vous faire remettre mes lettres de Trêves à Cirey, et d’avertir le maître de poste du soin qu’il doit prendre de cette correspondance.

Vous me parlez d’une manière qui me fait entendre qu’il ne vous serait pas désagréable de recevoir quelques pièces de musique de ma façon. Ayez donc la bonté de me marquer combien de personnes vous avez pour l’exé-

  1. Une souveraine. (Variante des Œuvres posthumes.) — Allusion à Anne-Iwanowna, qui régnait alors sur la Russie, et qui était nièce de Pierre Ier.
  2. Ces corrections, indiquées par le prince, étaient sans doute sur une feuille séparée. Elles n’ont pas été recueillies, mais Voltaire en profita. (Cl.)