Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/400

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Peins-nous d’Amaryllis les grâces ingénues,
Les nymphes des forêts, les Grâces demi-nues ;
Et souviens-toi toujours que c’est au seul Amour
Que ton art si charmant doit son être et le jour.

C’est ainsi que Despréaux les eût faits. Vous allez prendre cela pour une flatterie, Vous êtes tout propre, monseigneur, à ignorer ce que vous valez.

L’Épître à M. Duhan[1] est bien digne de vous : elle est d’un esprit sublime et d’un cœur reconnaissant. M. Duhan a élevé apparemment Votre Altesse royale. Il est bien heureux, et jamais prince n’a donné une telle récompense. Je m’aperçois, en lisant tout ce que vous avez daigné m’envoyer, qu’il n’y a pas une seule pensée fausse. Je vois, de temps en temps, des petits défauts de la langue, impossibles à éviter : car, par exemple, comment auriez-vous deviné que nourricier est de trois syllabes, et non de quatre ? que aient est d’une syllabe, et non pas de deux ? Ce n’est pas vous qui avez fait notre langue ; mais c’est vous qui pensez :

· · · · · · · · · · · · · · · Sapere est et principium et fons.

(Hor., de Art. poet., v. 309.)

Un esprit vrai fait toujours bien ce qu’il fait. Vous daignez vous amuser à faire des vers français et de la musique italienne, vous saisissez le goût de l’un et de l’autre. Vous vous connaissez très-bien en peinture ; enfin le goût du vrai vous conduit en tout. Il est impossible que cette grande qualité, qui fait le fond de votre caractère, ne fasse le bonbeur de tout un peuple après avoir fait le vôtre. Vous serez sur le trône ce que vous êtes dans votre retraite, et vous régnerez comme vous pensez et comme vous écrivez. Si Votre Altesse royale s’écarte un peu de la vérité, ce n’est que dans les éloges dont elle me comble ; et cette erreur ne vient que de sa bonté.

L’épître que vous daignez m’adresser, monseigneur, est une bien belle justification de la poésie, et un grand encouragement pour moi. Les cantiques de Moïse, les oracles des païens, tout y est employé à relever l’excellence de cet art ; mais vos vers sont le plus grand éloge qu’on ait fait de la poésie. Il n’est pas bien sûr que Moïse soit l’auteur des deux beaux cantiques, ni que le meurtrier d’Urie, l’amant de Bethsabée, le roi traître aux Phi-

  1. Charles-Gilles Duhan, né en Champagne en 1685, précepteur de Frédéric, qui avait d’abord été élevé par une Française appelée. Mme  de Rocoules. (Cl.)