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pour être en état de juger de la méchanceté des hommes de tous les siècles. Il n’est pas étonnant que vous n’ayez pas fait les mêmes réflexions.

Ton âme, de tout temps à la vertu nourrie,
Chercha ses aliments dans la philosophie.
Et sut l’art d’enchaîner tous ces tyrans fougueux
Qui déchirent les cœurs des humains malheureux[1].
Tranquille au haut des cieux, où nul mortel t’égale,
Le vice est à tes yeux comme une terre australe.

Mon impatience n’est pas encore contentée sur l’arrivée de Césarion et du Siècle de Louis le Grand. La goutte les arrête en chemin. Il faut, à la vérité, savoir se passer des agréments dans la vie, quoique j’espère que mon attente ne durera guère, et que ce Jason me rendra dans peu possesseur de cette toison d’or tant désirée et tant attendue.

Vous pouvez vous attendre, et je vous le promets, à toute la sincérité et à toute la franchise de ma part sur vos ouvrages. Mes doutes sont des espèces d’interrogatoires qui vous obligent à la justice de m’instruire.

Je vous prie d’assurer l’incomparable Émilie de l’estime dont je suis pénétré pour elle. Mais je m’aperçois que je finis mes lettres par des salutations aux sœurs[2], comme saint Paul avait coutume de conclure ses Épîtres, quoique je sois persuadé que, ni sous l’économie de l’ancienne loi, ni sous celle du Nouveau Testament, il n’y eut d’Iduméenne qui valût la centième partie d’Émilie. Quant à l’estime, l’amitié et la considération que j’ai pour vous, elles ne finiront jamais, étant, monsieur, votre très-fidèlement affectionné ami,

Fédéric

825. — À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
(Cirey) 5 février.

Prince, cet anneau[3] magnifique
Est plus cher à mon cœur qu’il ne brille à mes yeux.
L’anneau de Charlemagne et celui d’Angélique
Étaient des dons moins précieux ;
Et celui d’Hans Carvel[4], s’il faut que je m’explique,
Est le seul que j’aimasse mieux.

  1. Variante des Œuvres posthumes :
    Ton cœur, depuis longtemps à la vertu docile,
    Trouva dans la sagesse une douceur utile :
    Il sut l’art d’enchaîner tous ces tyrans fougueux,
    Implacables bourreaux des humains malheureux.
  2. Ce mot est la parodie de celui de frères, qu’on lit à la fin des Épîtres de saint Paul.
  3. Cet anneau est la bague dont parle le prince royal dans la lettre 813, du 14 janvier précédent.
  4. Contes de La Fontaine, liv. II, conte xii, tiré de Rabelais.