Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/425

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j’en conviens ; mais le triomphe de la volonté sur les désirs ne prouve rien en faveur de la Liberté. Ce triomphe ne prouve autre chose sinon qu’une idée de gloire qu’on se présente en supprimant ses désirs. Une idée d’orgueil, quelquefois aussi de prudence, nous détermine à vaincre ces désirs, ce qui est l’équivalent de ce que j’ai établi plus haut.

10° Puisque, sans Dieu, le monde ne pourrait pas avoir été créé, comme vous en convenez, et puisque je vous ai prouvé que l’homme n’est pas libre, il s’ensuit que, puisqu’il y a un Dieu, il y a une nécessité absolue, et puisqu’il y a une nécessité absolue, l’homme doit, par conséquent, y être assujetti, et ne saurait avoir de liberté.

11° Lorsqu’on parle des hommes, toutes les comparaisons prises des hommes peuvent cadrer ; mais, dès qu’on parle de Dieu, il me paraît que toutes ces comparaisons deviennent fausses, puisque en cela nous lui attribuons des idées humaines, nous le faisons agir comme un homme, et nous lui faisons jouer un rôle qui est entièrement opposé à sa majesté.

Réfuterai-je encore le système des sociniens, après avoir suffisamment établi le mien ? Dès qu’il est démontré que Dieu ne saurait rien faire de contraire à son essence, on en peut tirer la conséquence que tout ce qu’on peut dire pour prouver la liberté de l’homme sera toujours également faux. Le système de Wolff est fondé sur les attributs qu’on a démontrés en Dieu ; le système contraire n’a d’autre base que des suppositions évidemment fausses. Vous comprenez que tous les autres s’écroulent d’eux-mêmes.

Pour ne rien laisser en arrière, je dois vous faire remarquer une inconséquence qui me paraît être dans le plaisir que Dieu prend de voir agir des créatures libres. On ne s’aperçoit pas qu’on juge de toutes choses par un certain retour qu’on fait sur soi-même ; par exemple, un homme prend plaisir à voir une république laborieuse de fourmis pourvoir avec une espèce de sagesse à sa subsistance : de là on s’imagine que Dieu doit trouver le même plaisir aux actions des hommes. Mais on ne s’aperçoit pas, en raisonnant de la sorte, que le plaisir est une passion humaine, et que, comme Dieu n’est pas un homme, qu’il est un être parfaitement heureux en lui-même, il n’est susceptible de recevoir aucune impression, ni de joie, ni d’amour, ni de haine, ni de toutes les passions qui troublent les humains.

On soutient, il est vrai, que Dieu voit le passé, le présent et l’avenir ; que le temps ne le vieillit point, et que le moment d’à présent, des mois, des années, des mille milliers d’années, ne changent rien à son être, et ne sont en comparaison de sa durée, qui n’a ni commencement ni fin, que comme un instant, et moins encore qu’un clin d’œil.

Je vous avoue que le dieu de M. Clarke m’a bien fait rire. C’est un dieu assurément qui fréquente les cafés, et qui se met à politiquer avec quelques misérables nouvellistes sur les conjonctures présentes de l’Europe. Je crois qu’il doit être bien embarrassé à présent pour deviner ce qui se fera la campagne prochaine en Hongrie, et qu’il attend avec grande impatience l’arrivée des événements pour savoir s’il s’est trompé dans ses conjectures ou non.

Je n’ajouterai qu’une réflexion à celles que je viens de faire, c’est que