Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/462

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dans le sens de la latitude, et cela assez régulièrement. Or, si cela était, il pourrait à toute force y avoir une période d’environ deux millions d’années ; et si cette période existait, et qu’elle eût commencé à un point, comme, par exemple, au nord, il serait démontré que le monde aurait environ cent trente mille ans d’antiquité, et c’est le moins qu’on pourrait lui donner. Mais je ne veux me brouiller avec personne pour l’antiquité de la noblesse de ce globe ; eût-il vécu cent millions de siècles, ma vie ni la vôtre n’en dureraient pas un jour de plus. Songeons à vivre, et à vivre heureux. Pour moi.

Que les dieux ne m’ôtent rien,
C’est tout ce que je leur demande.

D’ailleurs, quand les hommes seraient encore plus sots qu’ils ne sont, je ne m’en mêlerai point.

Votre petit Basque a bien fait ; mais on avait fait assez mal ici de ne pas le faire venir d’abord. On ne doit jamais manquer l’acquisition d’un homme de mérite.

J’ai l’insolence d’en chercher un pour mon usage. Je voudrais quelque petit garçon philosophe qui fût adroit de la main, qui pût me faire mes expériences de physique ; je le ferais seigneur d’un cabinet de machines, et de quatre ou cinq cents livres de pension, et il aurait le plaisir d’entendre Émilie-Newton, qui, par parenthèse, entend mieux l’Optique de ce grand homme qu’aucun professeur, et que M, Coste[1], qui l’a traduite.

Adieu, Père Mersenne,


851. — DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Ruppin, 19 avril[2].

Monsieur, j’y perds de toutes les façons lorsque vous êtes malade, tant par l’intérêt que je prends à tout ce qui vous touche que par la perte d’une infinité de bonnes pensées que j’aurais reçues si votre santé l’avait permis.

Pour l’amour de l’humanité, ne m’alarmez plus par vos fréquentes indispositions, et ne vous imaginez pas que ces alarmes soient métaphoriques ; elles sont trop réelles, pour mon malheur. Je tremble de vous appliquer les deux plus beaux vers que Rousseau ait peut-être faits de sa vie :

Et ne mesurons point au nombre des années
La course des héros[3].

  1. Pierre Coste, mort en janvier 1747.
  2. Voltaire répondit, le 20 mai, à cette lettre et à celle du 31 mars.
  3. Livre II, ode x, vers 35-36.