Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/466

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mes actions ; c’est donc le ressort dont je dépends, et ce ressort est lié avec un autre, qui est mon tempérament. C’est là précisément la roue avec laquelle le Créateur monte les ressorts de la volonté ; et l’homme a la même liberté que le pendule. Il a de certaines vibrations ; en un mot, il peut faire des actions, etc., mais toutes asservies à son tempérament et à sa façon de penser plus ou moins bornée.

Questionnez quel homme il vous plaira sur ce qu’il a fait telle ou telle action ; le plus stupide de tous vous alléguera une raison. C’est donc une raison qui le détermine ; l’homme agit donc selon une loi, et en conséquence du ton que le Créateur lui a donné.

Voici donc une vérité non moins fondée sur l’expérience. Concluons donc que l’homme porte en soi le mobile qui le détermine ou qui cause ses résolutions.

Je voudrais, pour l’amour de la fatalité absolue, qu’on n’eût jamais cherché de subterfuge contre la liberté dans de faux raisonnements. Tel est celui que vous combattez très-bien, et que vous détruisez totalement. En effet rien de moins conséquent, que nous serions des dieux si nous étions libres. Il y a beaucoup de témérité à vouloir raisonner des choses qu’on ne connaît point ; et il y en a encore infiniment plus de vouloir prescrire des limites à la toute-puissance divine.

J’examine simplement les vérités qui me sont connues ; et de là je conclus que, puisqu’elles sont telles, Dieu a voulu qu’elles soient. Mon raisonnement ne fait qu’enchaîner les effets de la nature avec leur cause primitive, qui est Dieu.

Selon ce système, Dieu ayant prévu les effets des tempéraments et des caractères des hommes, conserve en plein sa prescience, et les hommes ont une espèce de liberté, quoique très-bornée, de suivre leurs raisonnements ou leur façon de penser.

Il s’agit à présent de montrer que mon hypothèse ne contient rien d’injurieux ni de contradictoire contre l’essence divine. C’est ce que je vais prouver.

L’idée que j’ai de Dieu est celle d’un Être tout-puissant, très-bon, infini, et raisonnable à un degré supérieur. Je dis que ce Dieu se détermine en tout par les raisons les plus sublimes, qu’il ne fait rien que de très-raisonnable et de très-conséquent. Ceci ne renverse en aucune façon la liberté de Dieu : car, comme Dieu est la raison même, dire qu’il se détermine par la raison, c’est dire qu’il se détermine par sa volonté, ce qui n’est, en ce sens, qu’un jeu de mots. De plus, Dieu peut prévoir ses propres actions, puisqu’elles sont asservies à l’infini, à l’excellence de ses attributs. Elles portent toujours le caractère de la perfection. Si donc Dieu est lui-même le destin, comment en peut-il être l’esclave ? Et si ce Dieu qui, selon M. Clarke, ne peut se tromper, si ce Dieu prévoit les actions des hommes, il faut donc nécessairement qu’elles arrivent. M. Clarke lui-même l’avoue sans s’en apercevoir.

Mon raisonnement se réduit à ce que Dieu, étant l’excellence même, il ne peut rien faire que de très-excellent ; et c’est ce qu’attestent les œuvres de