Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/521

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nouveaux tributs. Car, quand le prince enrichit ses sujets, il faut bien que leurs taxes augmentent. Mais, monseigneur, je ne pourrai jamais vous rendre ce que je dois à vos bontés. Le dernier fruit de votre loisir est l’ouvrage d’un vrai sage, qui est fort au-dessus des philosophes ; votre esprit sait d’autant mieux douter qu’il sait mieux approfondir. Rien n’est plus vrai, monseigneur, que nous sommes dans ce monde sous la direction d’une puissance aussi invisible que forte, à peu près comme des poulets qu’on a mis en mue pour un certain temps, pour les mettre à la broche ensuite, et qui ne comprendront jamais par quel caprice le cuisinier les fait ainsi encager. Je parie que si ces poulets raisonnent, et font un système sur leur cage, aucun ne devinera que c’est pour être mangés qu’on les a mis là. Votre Altesse royale se moque avec raison des animaux à deux pieds qui pensent savoir tout. Il n’y a qu’un bonnet d’âne à mettre sur la tête d’un savant qui croit savoir bien ce que c’est que la dureté, la cohérence, le ressort, l’électricité ; ce qui produit les germes, les sentiments, la faim ; ce qui fait digérer ; enfin qui croit connaître la matière, et, qui pis est, l’esprit. Il y a certainement des connaissances accordées à l’homme : nous savons mesurer, calculer, peser, jusqu’à un certain point. Les vérités géométriques sont indubitables, et c’est déjà beaucoup ; nous savons, à n’en pouvoir douter, que la lune est beaucoup plus petite que la terre, que les planètes font leur cours suivant une proportion réglée, qu’il ne saurait y avoir moins de trente millions de lieues de trois mille pas d’ici au soleil ; nous prédisons les éclipses, etc. Aller plus loin est un peu hardi, et le dessous des cartes n’est pas fait pour être aperçu. J’imagine les philosophes à systèmes comme des voyageurs curieux, qui auraient pris les dimensions du sérail du Grand Turc, qui seraient même entrés dans quelques appartements, et qui prétendraient sur cela deviner combien de fois Sa Hautesse a embrassé sa sultane favorite, ou son icoglan, la nuit précédente.

Mais, monseigneur, pour un prince allemand qui doit protéger le système de Copernic, Votre Altesse royale me paraît bien sceptique : c’est céder un de vos États pour l’amour de la paix ; ce sont des choses, s’il vous plaît, que l’on ne fait qu’à la dernière extrémité. Je mets le système planétaire de Copernic, moi petit Français, au rang des vérités géométriques, et je ne crois point que la montagne de Malabar#1 puisse jamais le détruire,[1]

  1. Voyez page 498.