Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/542

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Cideville, toujours aimable,
Toujours à lui-même semblable,
Daigne encor m’envoyer des vers.

Il est ma première maîtresse,
Qui, prenant ses plus beaux atours,
Vient rendre à ses premiers amours
Un cœur formé pour la tendresse,
Que je crus usé pour toujours.

Croyez, mon cher Cideville, que je pourrai renoncer aux vers, mais jamais à votre tendre amitié. Cette philosophie de Newton a un peu pris sur notre commerce, mais rien sur mes sentiments. Périsse le carré des distances, périssent les lois de Kepler, plutôt qu’il me soit reproché que j’ai abandonné mon ami ! Quelle science vaut l’amitié ? Non, mon cher Cideville, non-seulement je ne vous oublie point, mais je ne perds point l’espérance de vous revoir. Il est bien vrai que les Éléments de Newton me font des ennemis. Il y a deux bonnes raisons pour cela : cette philosophie est vraie, et elle combat celle de Descartes, que les Français ont adoptée avec aussi peu de raison qu’iLs l’avaient proscrite.

Je ne suis point étonné que vous ayez entendu une philosophie raisonnable et dégagée de toutes ces hypothèses qui ne présentent à l’esprit que des romans confus. Je ne suis point surpris non plus que vous l’ayez fait entendre à la personne aimable à qui sans doute vous avez fait entendre des vérités d’un usage plus réel, et qui par là en est plus respectable pour moi. Il faut, quand on a un maître tel que vous, que le cœur et l’esprit aillent de compagnie. Permettez que je lui réponde en vers[1]. Elle ne m’a point écrit dans sa langue ; sa langue est sans doute celle des dieux.

Vous avez dû avoir quelque peine avec cette édition d’Amsterdam ; elle est très-fautive. Il faut souvent suppléer le sens. Les libraires se sont hâtés de la débiter sans me consulter. Vous recevrez incessamment quelques exemplaires d’une édition qu’on dit plus correcte. Vous aurez Mérope en même temps. Je vous payerai mes tributs en vers et en prose pour réparer le temps perdu. Nous n’avons point entendu parler de Formont depuis qu’il est à la suite de Plutus.

  1. Voyez, tome X, page 305, l’Épître à Mlle de T….