Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/555

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plus de leur balance, avec laquelle ils ont voulu tenir l’équilibre de l’Europe, que pour peser les ballots qui leur viennent des Indes.

Voici des expressions du respectable auteur de cet ouvrage, qui m’ont bien frappé : La fortune qui préside au bonheur de la France ; cela me persuade plus que jamais que la France a joué bien heureusement à un jeu où je crois qu’elle ignorait qu’elle dût s’intéresser, un moment avant de prendre les cartes.

J’ai ouï dire à feu M. le maréchal de Villars qu’il avait fallu forcer la France à prendre les armes, que l’on avait même manqué deux fois de parole au ministre d’Espagne, et qu’enfin on avait été entraîné par les circonstances, piqué par le mépris que tout le conseil de l’empereur, excepté le grand prince Eugène, faisait ouvertement du ministère français, et encouragé en partie par l’espérance de voir le roi Stanislas, qui vous aime de tout son cœur, sur le trône de la Pologne, où il serait si les vœux de la nation polonaise et les lois eussent prévalu.

Votre Altesse royale sait que la France destinait d’abord au roi Stanislas un secours un peu plus honnête que celui de quinze cents fantassins[1] contre cinquante mille Russes ; mais les menaces des Anglais, et leur flotte, toute prête à nous fermer le passage, retinrent dans le port le fameux Du Guay-Trouin, qui comptait bien se mesurer avec les maîtres des mers. On donna donc au roi Stanislas le secours d’un pion contre une dame et une tour ; et le roi, qu’on n’osait ni secourir ni abandonner, fut échec et mat. Depuis ce temps, la force des événements, dont la prudence du ministère français a profité, a donné la Lorraine à la France, selon l’ancienne vue qui avait été proposée du temps de Louis XIV. Il paraît que ce qu’on appelle la fortune a fait beaucoup à ce jeu-là. Les joueurs n’ont pas mal écarté, et la rentrée a fait gagner la partie.

Le ministère français avait d’abord, ce semble, si peu d’envie de faire la guerre qu’un an avant la déclaration on avait cessé de payer les subsides à la Suède et au Danemark.

J’oserais comparer la France à un homme fort riche, entouré de gens qui se ruinent petit à petit ; il achète leurs biens à vil prix. Voilà à peu près comme ce grand corps, réuni sous un chef despotique, a englouti le Roussillon, l’Alsace, la Franche-Comté, la moitié de la Flandre, la Lorraine, etc. Votre Altesse

  1. Commandés, en 1734, par le comte de Plélo. Voyez (tome XV) le chapitre iv du Précis du Siècle de Louis XV.