Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/590

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Jusque sur la fatale rade
J’entends tes sons harmonieux ;
Voltaire, ta muse malade
Vaut cent poëtes vigoureux.
De notre moderne Parnasse
Et le Virgile et le Lucrèce,
Et l’Euclide et le Varignon,
Reviens briller sur l’horizon ;
Et, par ta science profonde,
Éclairer les yeux éblouis
Des ignorants peuples du monde,
Lâchement aux erreurs soumis.
C’est l’humanité qui t’inspire :
Elle préside à tes écrits ;
Puisse-t-elle sous son empire
Ranger enfin tous les esprits !

Au moins ne vous imaginez point que j’écris ces vers pour entrer en lice avec vous. Je vous réponds en bégayant dans une langue qu’il n’appartient qu’aux dieux et aux Voltaires de parler. Vous augmentez tous les jours mes appréhensions par l’état chancelant de votre santé. Si le destin qui gouverne le monde n’a pas pu unir tous les talents de l’esprit que vous possédez à un corps robuste et sain, comment ne nous arriverait-il point, à nous autres mortels, de commettre des fautes ?

J’ai reçu de Paris l’Épître sur la Modération, changée et augmentée. Ce qui m’a beaucoup plu, entre autres, c’est la description allégorique de Cirey. La pièce a beaucoup gagné à la correction, et je vous avouerai que ce médecin qui vient, s’assied, et s’endort, ne me plaisait point. Ce chien[1] qui meurt en léchant la main de son maître n’est-il pas un peu trop bas ? N’y a-t-il pas là quelque chose qui est au-dessous des beautés dont cette épître fourmille d’ailleurs ? Je vous expose mes sentiments, moins pour être critique que pour me former le goût ; ayez la bonté d’y répondre, et de me dire les vôtres.

Mérope, à en juger par les corrections que vous y avez faites, doit être une pièce achevée. Je n’y ai d’autre part que celle qu’avait le peuple d’Athènes aux ouvrages de Phidias, et la servante de Molière à ses comédies. J’ai deviné les endroits que vous corrigeriez. Vous les avez non-seulement retouchés, mais vous en avez encore reformé que je n’ai pu apercevoir. Je vous suis infiniment obligé de ce que vous voulez mettre mon nom à la tête de ce bel ouvrage ; j’aurai le sort d’Atticus, qui fut immortalisé par les lettres que Cicéron lui adressait.

Thieriot m’a envoyé la Philosophie de Newton, de l’édition de Londres ; je l’ai parcourue, mais je la relirai encore à tête reposée. De la manière dont vous m’expliquez le négoce des libraires de Hollande, il n’est pas étonnant que S’Gravesande se soit gendarmé contre votre traduction.

Ne vous paraît-il pas qu’il y ait tout autant d’incertitudes en physique qu’en métaphysique ? Je me vois environné de doutes de tous les côtés ; et,

  1. Voyez, tome IX, le vingtième vers du quatrième Discours sur la Modération.