Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/105

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trouvent ; la même personne les éprouve. Il y a de l’action théâtrale, et nul embarras. Je ne réponds pas du reste, mais j’ai une envie démesurée de vous faire pleurer. Je fais les vers. Adieu pour trois mois, Euclide ; adieu, physique. Revenez, sentiments tendres, vers harmonieux ; revenez faire ma cour à M. et Mme d’Argental, à qui je suis dévoué pour toute ma vie avec la tendresse la plus respectueuse.

Mme du Châtelet reçoit dans le moment une nouvelle lettre de vous. Je suis touché aux larmes de vos bontés. Vous êtes le plus respectable, le plus charmant ami que j’aie jamais connu.

Soit, plus d’Envieux. Pour la tragédie, je veux la travailler si bien que vous ne l’aurez de longtemps ; mais je vous en tracerai, si vous l’ordonnez, un petit plan. On dit qu’on va donner Mèdus[1] ; je souhaite qu’il ait du succès, et que ma pièce en ait aussi.

Il est certain que c’est une chose bien cruelle qu’après vingt-cinq ans d’amitié Thieriot désavoue ce qu’il m’a dit cent fois en présence de témoins, et, en dernier lieu, en présence de Mme du Châtelet. Je vous jure que je n’ai jamais su que de lui que l’abbé Desfontaines, pour prix de mes services, avait fait un libelle ironique et sanglant, intitulé Apologie de Voltaire[2]. Tout ce que je crains, c’est que Thieriot n’ait envoyé le nouveau libelle[3] au prince royal pour se donner de la considération. Si cela est vrai (comme on me le mande), il hasarde plus qu’il ne pense. Mme du Châtelet peut vous dire que l’amitié dont ce prince honore Cirey est quelque chose de si vif et de si singulier que Thieriot serait à jamais perdu dans son esprit. Au reste, je crois encore que l’amitié et l’humanité l’ont empêché de faire à Son Altesse royale un présent si infâme.

En souhaitant la bonne année à M. de Maurepas, je lui demande, en passant, justice contre l’abbé Desfontaines, qui, après avoir avoué pendant trois ans la traduction de mon Essai[4] anglais, que j’ai eu la bonté de lui corriger, ose la mettre aujourd’hui sur le compte de feu M. de Pielo[5].

Il sera nécessaire de faire une espèce de réponse au libelle diffamatoire ; il le faut pour les pays étrangers, et même pour beaucoup de Français, Je vous réponds que la réponse sera sage, attendrissante, appuyée sur des faits, sans autre injure que celle

  1. Tragédie de F.-M.-Chr. Deschamps, jouée le 12 janvier 1739.
  2. Voyez la note, page 92.
  3. Thieriot avait effectivement envoyé la Voltairomanie à Frédéric.
  4. Essai sur la Poésie épique, 1728, in-12.
  5. Tué sous les murs de Dantzick en 1734.