Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/137

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Mme de Champbonin vous a écrit une lettre[1] trempée dans l’amertume de ses larmes. Elle m’aime si vivement qu’il faut que vous lui pardonniez. Mais, croyez-moi, parlez à Mme du Châtelet du ton qui convient à sa sensibilité. Je vous embrasse ; j’oublie tout, hors votre amitié.

Songez qu’en de telles circonstances ne pas écrire à son ami sur-le-champ, c’est le trahir. Négligence est crime.


1034. — À M. THIERIOT.
Le 19 janvier.

Je suis malade, je ne peux vous écrire moi-même. Je n’avais pas le temps, hier, de vous dire tout ; mais je ne dois vous laisser rien ignorer, et un ami a bien des droits. Croyez-moi, mon cher Thieriot, croyez-moi, je vous aime et je ne vous trompe point. Mme du Châtelet ne peut qu’être irritée tant que vous ne réparerez point, par des choses qui partent du cœur, la politique, l’inutile, l’outrageante lettre que je vous ai renvoyée par son ordre. Tout ce que vous m’avez écrit du 14 pour mal justifier cette lettre ostensible, et ce long et injurieux silence qui l’avait suivie, l’a indignée bien davantage : on n’écrit qu’à ses ennemis de ces lettres ostensibles où l’on craint de s’expliquer, où l’on parle à demi, où l’on élude, où l’on est froid.

Examinez vous-même la chose, je vous en conjure, et voyez combien il est indécent que vous paraissiez faire le politique avec Mme du Châtelet, quand elle vous écrit simplement et avec amitié. Vous me mettez en presse ; vous me réduisez à la nécessité de combattre ici pour vous contre ses ressentiments. Elle croit que vous me trahissez ; il faut que je lui jure le contraire.

  1. Cette lettre, datée du 16 janvier 1739, est dans le tome II des Mémoires de Wagnière et Longchamp, page 438. Voici un court extrait des quatre pages qui la composent : « …. Aujourd’hui* nous recevons une lettre de Mme la présidente de Bernières ; … elle dit formellement que, loin que M. de Voltaire fut nourri et logé par charité chez M. de Dernières, comme l’ose dire un calomniateur si punissable (Desfontaines), il louait un logement chez elle, pour lui et pour vous, payant sa pension et la vôtre. Elle le dit, monsieur, et vous laissez calomnier votre ami ! et quel ami ! un homme qui a hasardé le bonheur de sa vie, et qui porte encore la peine de ces malheureuses Lettres philosophiques… dont vous avez reçu deux cents guinées. Et c’est vous, monsieur, qui laissez dire que M. de Voltaire est accusé de rapines !… Mme du Châtelet est pénétrée du plus vif ressentiment, et M. de Voltaire ne s’occupe qu’à l’apaiser. Voilà l’ami que vous êtes accusé publiquement de trahir… Il n’y a ici (à Cirey) que M. de Voltaire qui prenne votre parti… »
    *. D’après la lettre 1026, dont la date est positive, cette lettre de la présidente avait été reçue au moins la veille.