Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/142

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royaumes entiers, témoin l’abdication de saint Louis[1] en faveur de la vierge Marie. Pour moi, je n’ai point de prémices de moissons, point d’enfants, point de royaume à vouer ; je vous consacre les prémices de ma poésie de l’année 1739. Si j’étais païen, je vous invoquerais sous le nom d’Apollon ; si j’étais juif, je vous eusse peut-être confondu avec le roi prophète et son fils ; si j’étais papiste, vous eussiez été mon saint et mon confesseur. N’étant rien de tout cela, je me contente de vous estimer très-philosophiquement, de vous admirer comme philosophe, de vous chérir comme poëte, et de vous respecter comme ami.

Je ne vous souhaite que de la santé, car c’est tout ce dont vous avez besoin. Partagé d’un génie supérieur, capable de vous suffire à vous-même et de pouvoir être heureux, et, pour surcroît, possédant Émilie, que mes vœux pourraient-ils ajouter à votre félicité ?

Souvenez-vous que sous une zone un peu plus froide que la vôtre, dans un pays voisin de la barbarie, en un lieu solitaire et retiré du monde, habite un ami qui vous consacre ses veilles, et qui ne cesse de faire des vœux pour votre conservation.

Fédéric

1037. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
20 janvier.

Mon cher ange, vous avez été bien étonné du dernier paquet de Zulime ; mais qui emploie sa journée fait bien des choses. Je travaille, mais guidez-moi.

Je persiste dans l’idée de faire un procès criminel à l’abbé Desfontaines. Mon cher ange gardien, vous me connaissez. Les gens à poëme épique et à Éléments de Newton sont des gens opiniâtres. Je demanderai justice des calomnies de Desfontaines jusqu’au dernier soupir ; et ce même caractère d’esprit vous assure, je crois, de ma tendre et éternelle reconnaissance.

J’ai envoyé mon dernier Mémoire[2] à M. d’Argenson ; mais je ne compte le faire imprimer qu’avec permission tacite, dans un recueil de quelques pièces. Il me semble qu’il sera alors très-convenable de laisser dans mon mémoire justificatif tout ce qui est littéraire : car, si l’avidité du public malin ne désire actuellement que du personnel, les amateurs un jour préféreront beaucoup le littéraire. J’ai fait cet ouvrage dans le goût de Pellisson, et peut-être de Cicéron. Je serais confondu si ce style était mauvais.

N’ayant rien à craindre d’aucune récrimination, cependant

  1. Frédéric veut sans doute parler du vœu de Louis XIII (et non saint Louis). Voyez tome XVI, page 35.
  2. Le Mémoire imprimé tome XXIII, page 27.