Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/248

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de la grâce ; mais il me semble que certains héros étrangers, des Asiatiques, des Américains, des Turcs, peuvent parler sur un ton plus fier, plus sublime :

Major e longinquo…

J’aime un langage hardi, métaphorique, plein d’images[1], dans la bouche de Mahomet II, Ces idées superbes sont faites pour son caractère : c’est ainsi qu’il s’exprimait lui-même. Savez-vous bien qu’en entrant dans Sainte-Sophie, qu’il venait de changer en mosquée, il s’écria en vers persans qu’il composa sur-le-champ : « Le palais impérial est tombé ; les oiseaux qui annoncent le carnage ont fait entendre leurs cris sur les tours de Constantin » ?

On a beau dire que ces beautés de diction sont des beautés épiques ; ceux qui parlent ainsi ne savent pas que Sophocle et Euripide ont imité le style d’Homère. Ces morceaux épiques, entremêlés avec art parmi des beautés plus simples, sont comme des éclairs qu’on voit quelquefois enflammer l’horizon, et se mêler à la lumière douce et égale d’une belle soirée. Toutes les autres nations aiment, ce me semble, ces figures frappantes. Grecs, Latins, Arabes, Italiens, Anglais, Espagnols, tous nous reprochent une poésie un peu trop prosaïque. Je ne demande pas qu’on outre la nature, je veux qu’on la fortifie et qu’on l’embellisse. Qui aime mieux que moi les pièces de l’illustre Racine ? Qui les sait plus par cœur ? Mais serais-je fâché que Bajazet, par exemple, eût quelquefois un peu plus de sublime ?

Elle veut, Acomat, que je l’épouse. — Eh bien !

(Acte II, scène iii.)

Tout cela finirait par une perfidie !
J’épouserais ! et qui ? (s’il faut que je le die)
Une esclave attachée à ses seuls intérêts…
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Si votre cœur était moins plein de son amour,
Je vous verrais, sans doute, en rougir la première ;
Mais, pour vous épargner une injuste prière,

  1. « …dans la bouche de Mahomet II, comme dans Mahomet le Prophète. Ces idées superbes sont faites pour leurs caractères ; c’est ainsi qu’ils s’exprimaient eux-mêmes. On prétend que le conquérant de Constantinople, en entrant dans Sainte-Sophie, qu’il venait de changer en mosquée, récita deux vers sublimes du Persan Sadi : Le palais impérial, etc. » (Texte des éditions de Kehl.)