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Votre épître, écrite d’un style élégant et facile, a beaucoup de ces vers frappés sans lesquels l’élégance ne serait plus que de l’uniformité.

Que je suis bien de votre avis, surtout quand vous dites :

Malheureux les États où les honneurs des pères
Sont de leurs lâches fils les biens héréditaires !

( Vers 48.)

J’ai été inspiré un peu de votre génie, il y a quelque temps, en corrigeant une vieille tragédie de Brutus, qu’on s’avise de réimprimer : car je passe actuellement ma vie à corriger. Il faut que je cède à la vanité de vous dire que j’ai employé à peu près la même pensée que vous. Je fais parler le vieux président Brutus comme vous Tallez voir :

Non, non, le consulat n’est point fait pour mon âge, etc.

(Brutus, acte II, scène iv.)

Plût à Dieu, monsieur, qu’on pensât comme Brutus et comme vous. Il y a un pays, dit l’abbé de Saint-Pierre, où l’on achète le droit d’entrer au conseil ; et ce pays, c’est la France[1]. Il y a un pays où certains honneurs sont héréditaires, et ce pays, c’est encore la France. Vous voyez bien que nous réunissons les extrêmes.

Que reste-t-il donc à ceux qui n’ont pas cent mille francs d’argent comptant pour être maîtres des requêtes, ou qui n’ont pas l’honneur d’avoir un manteau ducal à leurs armes ? Il leur reste d’être heureux, et de ne pas s’imaginer seulement que cent mille francs et un manteau ducal soient quelque chose.

Vous dites en beaux vers, monsieur :

Ce qu’on appelle un grand, pour le bien définir,
Ne cherche, ne connaît, n’aime que le plaisir[2].

Mais, sauf votre respect, je connais force petits qui en usent ainsi. Ce serait alors, ma foi, que les grands auraient un terrible avantage s’ils avaient ce privilège exclusif.

Je vous le dis du fond de mon cœur, monsieur, votre prose et vos vers m’attachent à vous pour jamais.

Ce n’est pas des écussons de trois fleurs de lis qu’il me faut,

  1. Voltaire s’est toujours élevé contre la vénalité des charges : voyez la note, tome XXI, page 6.
  2. Ces deux vers n’ont pas été conservés dans l’Épître de Lefranc de Pompignan, tome II, édition de 1784.