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Au septième chant, en parlant de l’enfer, j’ajoute :

Êtes-vous en ces lieux, faibles et tendres cœurs,
Qui, livrés aux plaisirs, et couchés sur des fleurs,
Sans fiel et sans fierté couliez dans la paresse
Vos inutiles jours filés par la mollesse ?
Avec les scélérats seriez-vous confondus,
Vous, mortels bienfaisants, vous, amis des vertus.
Qui, par un seul moment de doute ou de faiblesse,
Avez séché les fruits de trente ans de sagesse ?

(Vers 199.)

Voilà de quoi inspirer peut-être, monseigneur, un peu de pitié pour les pauvres damnés, parmi lesquels il y a de si honnêtes gens. Mais le changement le plus essentiel à mon poëme, c’est une invocation qui doit être placée immédiatement après celle que j’ai faite à une déesse étrangère, nommée la Vérité. À qui dois-je m’adresser, si ce n’est à son favori, à un prince qui l’aime et qui la fait aimer, à un prince qui m’est aussi cher qu’elle, et aussi rare dans le monde ? C’est donc ainsi que je parle à cet homme adorable, au commencement de la Henriade.

Et toi, jeune héros, toujours conduit par elle,
Disciple de Trajan, rival de Marc-Aurèle,
Citoyen sur le trône, et l’exemple du Nord,
Sois mon plus cher appui, sois mon plus grand support :
Laisse les autres rois, ces faux dieux de la terre.
Porter de toutes parts ou la fraude où la guerre :
De leurs fausses vertus laisse-les s’honorer ;
Ils désolent le monde, et tu dois l’éclairer[1].

Je demande en grâce à Votre Altesse royale, je lui demande à genoux de souffrir que ces vers soient imprimés dans la belle édition qu’elle ordonne qu’on fasse de la Henriade. Pourquoi me défendrait-elle, à moi, qui n’écris que pour la vérité, de dire celle qui m’est la plus précieuse ?

Je compte envoyer à Votre Altesse royale de quoi l’amuser, dès que je serai aux Pays-Bas. Je n’ai pas laissé de faire de la besogne, malgré mes maladies ; Apollon-Remus et Émilie me soutiennent. Mme  du Châtelet ne sait encore ni comment remer-

  1. Je ne connais aucune édition de la Henriade qui ait ces vers dans le texte. Voltaire, dans sa lettre du 25 avril 1739, demande encore au prince la permission d’imprimer ces vers ; mais il les rétracta deux ans après les avoir faits ; voyez la lettre à Thieriot du 21 juin 1741. (B.)