Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/337

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Qu’ainsi que les succès, les malheurs et le deuil
Ne touchent de l’État que vos seules familles.

Ce globe spacieux qu’enferme l’univers,
Ce globe, des humains la commune patrie,
Où cent peuples nombreux, de cent climats divers,
Ne forment rassemblés, qu’une ample colonie,
Distingues par leurs traits, par leurs religions.
Leurs coutumes, leurs mœurs, et leurs opinions,
Du ciel, qui les forma sur un même modèle,
Reçurent tous des cœurs, et c’était pour s’aimer.
Détestez, insensés, votre rage cruelle ;
L’amour ne pourra-t-il jamais vous désarmer ?

De leur destin cruel mon âme est attendrie ;
Et d’un sort si funeste aveugles artisans,
Dieu ! quel acharnement ! avec quelle furie
Les voit-on retrancher la trame de leurs ans !
Européens, Chinois, habitants de l’Afrique,
Et vous, fiers citoyens des bords de l’Amérique,
Mon cœur, également ému de vos malheurs.
Condamne les combats, déplore les misères
Où vous plongent sans fin vos barbares fureurs.
Et je ne vois en vous que mon sang et mes frères.

Que l’univers enfin dans les bras de la paix,
Réprouvant ses erreurs, abandonne les armes.
Et que l’ambition, les guerres, les procès,
Laissent le genre humain sans trouble et sans alarmes !
Qu’ils descendent des cieux, pour remplir leurs désirs,
Ces volages enfants, les Ris et les Plaisirs,
Le Luxe fortuné, la prodigue Abondance,
Et tous ces arts heureux par qui furent polis
Memphis, Athènes, Rome, et Paris et Florence,
Dont même à votre tour vous fûtes ennoblis.

Venez, arts enchanteurs, par vos heureux prestiges,
Étaler à nos yeux vos charmes tout-puissants ;
Des sujets de terreur, par vos nouveaux prodiges.
Se changent en vos mains et plaisent à nos sens.
Tels, des gouffres profonds, inconnus du tonnerre.
Où mille affreux rochers se cachent sous la terre,
Où roulent en grondant des orageux torrents.
Des hommes ont tiré, guidés par l’industrie,
Ces métaux précieux, ces riches diamants,
Compagnons fastueux des grandeurs de la vie.

Ainsi, possédant l’art des magiques accords.
Voltaire sait orner des fleurs qu’il fait éclore
Ces tragiques sujets, ces carnages, ces morts,
Que, sans ces traits savants, l’œil délicat abhorre.
C’est là qu’on peut souffrir ces massacres affreux ;
Les malheurs des humains ne plaisent qu’en ces jeux
Où des auteurs divins tracent à la mémoire