Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les règnes détestés de barbares tyrans,
D’un illustre courroux la malheureuse histoire,
Où les crimes des morts corrigent les vivants.

Poursuivez donc ainsi, fiers enfants de Solime,
À nous faire admirer vos triomphes heureux ;
Et, bientôt surpassant Mithridate et Monime,
Au Théâtre-Français attirez tous nos vœux.
Allez donc, sur les pas de César et d’Alzire,
Sous le nom de Zopire, à Paris vous produire.
Sans avoir des rivaux moins craints, moins redoutés.
Mais plus sûrs du bonheur de toucher et de plaire.
Je vois déjà briller l’éclat de vos beautés.
Couronnés des lauriers que vous cueillit Voltaire.

Je vous envoie, en même temps, la Préface de la Henriade. Il faut sept années pour la graver ; mais l’imprimeur anglais assure qu’il l’imprimera de manière qu’elle ne le cédera en rien à la beauté de son Horace latin. Si vous trouvez quelque chose à changer ou à corriger dans cette préface, il ne dépendra que de vous de le faire. Je ne veux point qu’il s’y trouve rien qui soit indigne de la Henriade ou de son auteur. Je vous prie cependant de me renvoyer l’original, ou de le faire copier, car je n’en ai point d’autre.

Après un petit voyage de quelques jours, qui me reste à faire, je me mettrai sérieusement en devoir de combattre Machiavel. Vous savez que l’étude veut du repos, et je n’en ai aucun depuis trois mois ; j’ai même été obligé de quitter trois fois la plume, n’ayant pas le temps d’achever cette lettre ; et l’ouvrage que je me suis proposé de faire demandant du jugement et de l’exactitude, je l’ai réservé pour mon loisir, dans ma retraite philosophique.

Je vous vois avec plaisir mener une vie presque tout aussi errante que la mienne. Thieriot m’avertit de votre arrivée à Paris. J’avoue que, si j’avais le choix des fêtes que célèbrent les Français d’aujourd’hui, et de celles qu’on célébrait du temps de Louis XIV, je serais pour celles où l’esprit a plus de part que la vue ; mais je sais bien que je préfèrerais à toutes ces brillantes merveilles le plaisir de m’entretenir deux heures avec vous…

On m’interrompt encore ; au diable les fâcheux[1] ! …

Me voici de retour. Vous me parlez de grands hommes et d’engagements[2] ; on vous prendrait pour un enrôleur. Vous sacrifiez donc aussi aux dieux de notre pays ? Si l’on est à Paris dans le goût des plaisirs, et qu’on se trompe quelquefois sur le choix, on est ici dans le goût des grands hommes ; on mesure le mérite à la toise, et l’on dirait que quiconque a le malheur d’être né d’un demi-pied de roi moins haut qu’un géant ne saurait avoir du bon sens, et cela fondé sur la règle des proportions. Pour moi, je ne sais ce qui en est ; mais, selon ce qu’on dit, Alexandre n’était pas grand, César non plus. Le prince de Condé, Turenne, milord Marlborough, et le prince Eugène[3]

  1. C’est ce que dit Éraste, dans les Fâcheux de Molière, acte I, scène xi.
  2. Voyez plus haut la lettre 1188.
  3. Frédéric avait fait sous lui la campagne du Rhin, en 1734.