Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/389

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vous y voir. Nous avons vu ici un petit ours en pompons : c’est une princesse russe, qui n’a de l’humanité que l’ajustement ; elle est petite-fille du prince Cantemir[1].

Rendez, s’il vous plaît, ma lettre à la marquise, et soyez persuadé que l’estime que j’ai pour vous ne finira jamais.

Fédéric.

1239. — À MADEMOISELLE QUINAULT.
Ce 4 février, à Bruxelles, rue de la Grosse-Tour.

Dans l’instant que je recevais votre lettre, mademoiselle, M. le marquis du Châtelet partait pour Paris avec deux paquets adressés à l’un des anges gardiens : de ces deux paquets l’un contient Mahomet, et l’autre la petite Zulime que vous voulez bien favoriser d’un peu de bienveillance. Je crois qu’il faut absolument s’en tenir à cette dernière leçon de Zulime. Si, parmi vos occupations, il vous reste encore quelque idée de cette Africaine, permettez-moi de remarquer que l’intérêt de cette pièce commençait à se refroidir au moment qu’on devait naturellement croire qu’il allait augmenter : c’était quand Zulime apprenait que son amant venait de tuer son père, et un père qu’elle aimait. Le désespoir qu’inspirait à Zulime la mort de ce vieillard respectable ne faisait aucun effet. La raison en est que Zulime ayant abandonné son père pour son amant, et ayant essuyé de ce père outragé tant de reproches, et craignant d’en être punie, doit, dans le fond de son cœur, n’être pas si fâchée de sa mort ; elle n’est pas dans le cas de Chimène : ainsi tout ce qui est naturel dans Chimène doit paraître forcé dans Zulime, et tout ce qui s’écarte d’une ligne de la simple nature ne peut jamais réussir, quelque effort de génie qu’on emploie, et quelques fleurs dont on orne un défaut capital. Peu de spectateurs sentiraient la raison de ce que j’ai l’honneur de vous dire ; mais il n’y en a aucun qui ne sentit l’effet. On ne peut remuer le cœur sur la fin d’une tragédie que par le même intérêt qui en a ouvert l’entrée dans le commencement. C’est l’amour seul, c’est l’embarras de savoir à qui appartiendra Ramire, qui font le sujet des premiers actes ; ils doivent donc faire uniquement le sujet des derniers. Je crois avoir rempli ce devoir indispensable dans les deux derniers actes de la nouvelle Zulime ; je crois que cet intérêt, qui est toujours le même sous des faces différentes, ne

  1. Voyez une note de la lettre 1127.