Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/416

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maure[1]. C’était autrefois un beau pédantisme que celui qui tenait toujours les premiers magistrats en longue jaquette, et qui leur interdisait les spectacles. Je ne croirai les Français tout à fait revenus de l’ancienne barbarie que quand l’archevêque de Paris, le chancelier, et le premier président, auront chacun une loge à l’Opéra et à la Comédie,

Mme du Châtelet vous fait bien des compliments ; et moi, monsieur, je vous suis dévoué pour ma vie avec la plus tendre et la plus respectueuse reconnaissance.


1259. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Mars[2].

Ange de paix, eh bien ! comment trouvez-vous donc ce commencement de l’Histoire de Louis XIV ? Je crois que j’en pourrais faire un ouvrage bien neuf, et peut-être honorable à la nation. Mais comme je suis traité dans cette nation, pour qui je travaille !

Et Zulime, Zulime ! Si le cinquième acte n’est pas à votre fantaisie, je n’ai qu’à me noyer, car j’y ai mis tout ce que je sais. J’ai vu de beaux yeux pleurer en le lisant ; mais je me défie toujours des beaux yeux : celles qui les portent sont d’ordinaire séduites ou trompeuses. La personne dont je vous parle est peut-être trop séduite en ma faveur ; cependant elle n’a guère pleuré à Mèrope[3], et elle a pleuré beaucoup à Zulime.

Pour l’amour de Dieu, n’exigez pas que je commence par faire de Zulime un trouble-fête ! Quelle cruelle idée mon conseil a-t-il eue ! Croyez-moi, il n’y aurait plus d’intérêt. Atide doit ne pas déplaire, mais Zulime doit déchirer le cœur. Prenez-y garde, tout serait perdu.

Au reste, mon conseil est le seul conseil dans Paris qui soit instruit des affaires d’Afrique. Si cela pouvait être joué à Pâques, je bénirais Mahomet ; décidez. Il y a bien autre chose sur le tapis.

Permettez-vous que je vous adresse une de mes rêveries[4],

  1. Catherine-Nicole Lemaure, célèbre actrice de l’Opéra, née en 1704, morte en 1783. Voltaire la nomme dans sa lettre du 5 mai 1741, à d’Argental, et dans d’autres lettres.
  2. Il est à tort qu’on a toujours date cette lettre du 22 mars. Elle ne peut être que du 30 ou du 31.
  3. Mme de Graffigny prétend, dans une de ses lettres écrites de Cirey, à la fin de 1738, que Mme du Châtelet n’aimait pas Mérope, et qu’elle tournait cette tragédie en ridicule tant qu’elle pouvait ; ce qui ne plaisait guère au pauvre Voltaire, auquel Émilie rendait la vie un peu dure. (Cl.)
  4. Voyez, tome X, page 314, l’Épitre à un ministre d’État.