Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/483

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agréable. Heureux ce M. de Camas[1], non pas tant de ce qu’il représente Votre Majesté que de ce qu’il la reverra !

Je volai hier au soir chez cet aimable M. de Camas, envoyé et chanté par son roi ; et dans le peu qu’il m’en dit, j’appris que Votre Majesté, que j’appellerai toujours Votre Humanité, vit en homme plus que jamais, et qu’après avoir fait sa charge de roi sans reiilche les trois quarts de la journée, elle jouit, le soir, des douceurs de l’amitié, qui sont si au-dessus de celles de la royauté.

Nous allons dîner dans une demi-heure tous ensemble chez Mme  la marquise du Châfelet ; jugez, sire, quelle sera sa joie et la mienne. Depuis l’apparition de M. de Keyserlingk nous n’avons pas eu un si beau jour.

Cependant vous courez sur les bords du Prégel,
Lieux où glace est fréquente, et très-rare est dégel.
Puisse un diadème éternel ;
Orner cet aimable visage !
Apollon l’a déjà couvert de ses lauriers ;
Mars y joindra les siens, si jamais l’héritage
De ce beau pays de Juliers
Dépendait des combats et de votre courage.

Votre Majesté sait qu’Apollon, le dieu des vers, tua le serpent Python et les Aloïdes[2] ; le dieu des arts se battait comme un diable dans l’occasion.

Ce dieu vous a donné son carquois et sa lyre ;
Si l’on doit vous chérir, on doit vous redouter.
Ce n’est point des exploits que ce grand cœur désire ;
Mais vous savez les faire, et les savez chanter.

C’est un peu trop à la fois, sire, mais votre destin est de réussir à tout ce que vous entreprendrez, parce que je sais de bonne part que vous avez cette fermeté d’âme qui fait la base des grandes vertus. D’ailleurs Dieu bénira sans doute le règne de Votre Humanité, puisque, quand elle s’est bien fatiguée tout le jour à être roi pour faire des heureux, elle a encore la bonté d’orner sa lettre, à moi chétif,

D’un des plus aimables sixains[3]
Qu’écrive une plume légère.

  1. Voyez la note 2 de la page 449.
  2. Géants nommés Otus et Éphialte, par Homère.
  3. Voyez lettre 1299.