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Vous ne sauriez augmenter les obligations que je vous dois, ni la parfaite estime avec laquelle je suis à jamais votre inviolable ami,

Fédéric.

1326. — À M. THIERIOT.
À Bruxelles, le 6 d’août[1].

Comme je ne connais aucun cérémonial, Dieu merci, je n’ai jamais imaginé qu’il y en eût dans l’amitié, et je ne conçois pas comment vous vous plaignez du silence d’un solitaire qui, retiré loin de Paris et de la persécution, ne peut avoir rien à mander, tandis que vous, qui êtes au centre des arts et des agréments, ne lui avez pas écrit une seule fois dans le temps qu’il paraissait avoir besoin de la consolation de ses amis[2]. Je n’avais pas besoin de cette longue interruption de votre commerce pour en sentir mieux le prix ; mais, si la première loi de l’amitié est de la cultiver, la seconde loi est de pardonner quand on a manqué à la première. Mon cœur est toujours le même, quoique vos faveurs soient inégales. Je ne sais ni vous oublier, ni m’accoutumer à votre oubli, ni vous le trop reprocher.

L’homme dont vous me parlez me sera cher par deux raisons, parce qu’il est savant et qu’il vient de votre part ; mais j’ai peur de l’avoir manqué en chemin. J’étais à la Haye pour une petite commission ; j’en revins hier au soir ; je trouvai votre lettre du 26 juillet à Bruxelles ; j’appris qu’un Français, qui allait à Berlin, m’avait demandé ici en passant, et je juge que c’est ce M. Dumolard[3]. Le roi aime toutes les sortes de littérature et de mérite, et les encourage toutes. Il sait qu’il y a d’autres talents dans le monde que celui de mesurer des courbes. Il est comme le Père céleste : in domo ejus mansiones multæ sunt[4]. Je ne sais si ma retraite me permettra d’être fort utile auprès de lui aux beaux-arts qu’il protège. Une amitié qui m’est sacrée me privera du bonheur de vivre à sa cour, et m’empêchera de le regretter. Plus ses lettres me l’ont fait connaître, et plus je l’admire. Il est né pour être, je ne dis pas le modèle des rois, cela n’est pas

  1. Cette lettre n’est point du 26 août, ainsi qu’on la toujours datée. Il faut la classer au 6 du même mois. (G. A.)
  2. Thieriot n’avait pas écrit à Voltaire depuis plus de six mois.
  3. C’est ce même savant qui fit avec Voltaire l’écrit intitulé Connaissance des beautés et des défauts… de la langue française (voyez tome XXIII), et la Dissertation sur Oreste (voyez tome V).
  4. Saint Jean, xiv, 12.