Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/527

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de tous ses frais, et de lui payer le quadruple de ces frais pour retirer de lui ce que je lui avais donné en pur don : il eut l’ingratitude et la dureté de me refuser.

3° Je lui demandai au moins permission de corriger le manuscrit : il me le confia chez lui feuille à feuille, après m’avoir enfermé sous la clef. Je biffai, raturai et défigurai neuf chapitres du manuscrit : ayant ainsi mutilé un ouvrage dont j’étais le maître, j’offris encore à Van Duren de le racheter de ses mains.

4° Je lui fis parler par M. de Beck, secrétaire de la légation de Prusse, qui lui offrit à plusieurs reprises mille, quinze cents, deux mille florins ; je lui en offris moi-même trois mille. Enfin j’allai jusqu’à mille ducats. Il me répondit qu’il verrait. Et ensuite vous me dîtes vous-même, cinq ou six fois, qu’il ne voulait s’en dessaisir ni pour or ni pour argent, qu’il ne transigerait pas pour quinze cents ducats. Enfin vous et lui m’assurâtes qu’il voulait avoir le manuscrit véritable et correct, et qu’il rendrait alors celui que j’avais biffé ; qu’il espérait gagner, en imprimant le véritable manuscrit, plus que je ne pourrais lui donner en lui achetant le manuscrit informe dont il est saisi.

5° Je voulus bien enfin accepter ce parti : je vous remis le véritable ouvrage, et il donna sa parole d’honneur qu’il rendrait l’informe manuscrit qui ne doit pas paraître. Vous reçûtes ces paroles, vous m’assurâtes que l’affaire était terminée, vous m’en félicitâtes, et je partis de la Haye plein de la confiance que vous m’inspiriez.

6° Plus d’un mois s’est écoulé ; Van Duren n’a point tenu sa parole ; il vous dit qu’il a envoyé ce manuscrit informe à Bâle ; il dit à M. de La Ville[1] qu’il l’a envoyé à Londres ; il dit qu’il l’a débité à Francfort. Tantôt il prétend qu’il est imprimé, tantôt il dit qu’il ne l’est pas. Tant de mensonges entassés, une conduite si irrégulière et si perfide, doivent vous convaincre, monsieur, que je ne peux me fier à un pareil homme qui, d’ailleurs, est universellement connu ici.

Je ne sens pas moins l’obligation que je vous ai ; et plus vous aurez en horreur les mauvais procédés de Van Duren, plus j’aurai bonne opinion de votre cœur. Je prendrai les mesures que mes amis approuveront, et je compterai toujours sur la fidélité avec laquelle vous garderez le dépôt. C’est avec ces sentiments, monsieur, que nous sommes vos très-humbles et très-obéissants serviteurs.

  1. Secrétaire de l’ambassadeur de France Fénelon.