Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/556

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Adieu, cher cygne[1], faites-moi quelquefois entendre votre chant ; mais que ce ne soit point, selon la fiction des poètes, en rendant l’âme au bord du Simoïs. Je veux de vos lettres, vous bien portant et même mieux qu’à présent. Vous connaissez l’estime que j’ai pour vous, et vous en êtes persuadé.


1377. — À FREDERIC II, ROI DE PRUSSE.
À Herford, le 11 novembre.

Dans un chemin creux et glissant.
Comblé de neiges et de boues,
La main d’un démon malfaisant
De mon char a brisé les roues.
J’avais toujours imprudemment
Bravé celle de la Fortune ;
Mais je change de sentiment :
Je la fuyais, je l’importune,
Je lui dis d’une faible voix :
Ô toi qui gouvernes les rois,
Excepté le héros que j’aime ;
Ô toi qui n’auras sous tes lois
Ni son cœur, ni son diadème,
Je vais trouver mon seul appui !
Qu’enfin ta faveur me seconde ;
Souffre qu’en paix j’aille vers lui ;
Va troubler le reste du monde.

La Fortune, sire, a été trop jalouse de mon accès auprès de Votre Majesté ; elle est bien loin d’exaucer ma prière : elle vient de briser, sur le chemin d’Herford, ce carrosse qui me menait dans la terre promise, Dumolard l’oriental[2], que j’amène dans les États de Votre Majesté suivant vos ordres, prétend, sire, que, dans l’Arabie, jamais pèlerin de la Mecque n’eut une plus triste aventure, et que les Juifs ne furent pas plus à plaindre dans le désert.

Un domestique va d’un côté demander du secours à des Vestplialiens qui croient qu’on leur demande à boire ; un autre court sans savoir où. Dumolard, qui se promet bien d’écrire notre voyage en arabe et en syriaque, est cependant de ressource, comme s’il n’était pas savant. Il va à la découverte,

  1. Frédéric appelle ainsi Algarotti, dans une lettre à Voltaire, page 556.
  2. Voyez les lettres 1333 et 1351.