Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/561

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vous-même. Je me nourris de l’encens que les connaisseurs vous donnent ; je n’ai plus d’amour-propre que par rapport à vous.

Lisez, sire, cette lettre[1] que je reçois de M. le cardinal de Fleury. Trente particuliers m’en écrivent de pareilles ; l’Europe retentit de vos louanges. Je peux jurer à Votre Majesté qu’excepté le malheureux écrivain de petites nouvelles il n’y a personne qui ne sache que je suis incapable d’avoir fait un tel ouvrage de politique, et qui ne connaisse ce que peut votre singulier génie.

Mais, sire, quelque grand génie qu’on puisse être, on ne peut écrire ni en vers ni en prose sans consulter quelqu’un qui nous aime.

Au reste, que la lettre de M. le cardinal de Fleury ne vous étonne pas, sire ; il m’a toujours écrit avec quelque air d’amitié. Si j’étais mal avec lui, c’est que je croyais avoir sujet d’être mécontent de lui, et je n’avais pu plier mon caractère à lui faire ma cour. Il n’y a jamais que le cœur qui me conduise.

Votre Majesté verra, par sa lettre en original, que quand j’ai fait tenir l’Anti-Machiavel à ce ministre, comme à tant d’autres, je me suis bien donné de garde de désigner Votre Majesté pour l’auteur de cet admirable livre.

Je vous supplie, sire, de juger ma conduite dans cette affaire par la scrupuleuse attention que j’ai eue à ne jamais donner à personne copie des vers dont Votre Majesté m’a honoré ; j’ose dire que je suis le seul dans ce cas.

Je vais partir demain[2]. Mme du Châtelet est fort mal. Je me flatte encore d’être assez heureux pour assurer un moment Votre Majesté, à Potsdam, du tendre attachement, de l’admiration et du respect avec lesquels je serai toute ma vie, sire, de Votre Majesté le très-humble et très-obéissant serviteur.


1382. — À M. DE MAUPERTUIS.
Potsdam, décembre.

Mon cher hibou de philosophe errant, venez donc dîner aujourd’hui chez M. de Valori, et, s’il dîne chez M. de Beauvau, nous mangerons chez M. de Beauvau. Il faut que j’embrasse mon philosophe avant que de prendre congé de la respectable, singulière et aimable p…[3] qui arrive.

  1. La lettre 1378.
  2. Voltaire ne partit que le 2 ou le 3 décembre.
  3. Le roi de Prusse, que Voltaire appelle plus poliment coquette, dans des stances datées du 2 décembre 1740, tome VIII.