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droit. Votre esprit est fait pour se plier et pour réussir à tout. Mais il y a bien du mérite à revenir si aisément de l’état militaire à celui de la robe.

Ce dernier procure une vie plus douce et plus heureuse. Eh ! qu’avons-nous à faire dans ce monde qu’à nous rendre heureux, nous et les nôtres ? Je ne viendrai m’établir à Paris qu’environ dans deux années. Si vous y faites alors quelque voyage, ou si vous me jugez capable de vous servir en ce pays-là, vous pourrez disposer de moi. Votre reconnaissance, monsieur, pour de petits services que tout autre que moi vous eût rendus à ma place, me fait sentir combien il serait doux de vous en rendre qui me coûtassent plus de soins. Comptez, monsieur, que vous aurez toujours en moi un ami qui s’intéressera tendrement au bonheur de votre vie. C’est dans ces sentiments que je suis de tout mon cœur, etc.

Voltaires.

1492. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Olmütz, 3 février.

Mon cher Voltaire, le démon qui m’a promené jusqu’à présent m’a mené à Olmütz, pour redresser les affaires que les autres alliés ont embrouillées, dit-on. Je ne sais ce qui en sera ; mais je sais que mon étoile est trop errante. Que pouvez-vous prétendre d’une cervelle où il n’y a que du foin, de l’avoine, et de la paille hachée ? Je crois que je ne rimerai à présent qu’en oin et en oine.

Laissez calmer cette tempête ;
Attendez qu’à Berlin, sur les débris de Mars,
La paix ramène les beaux-arts.
Pour faire enfler les sons de ma tendre musette,
Il faut que la fin des hasards
Impose le silence au bruit de la trompette.

Je vous renvoie bien loin peut-être ; cependant il n’y a rien à faire à présent, et d’un mauvais payeur il faut prendre ce qu’on peut.

Je lis maintenant, ou plutôt je dévore votre Siècle de Louis le Grand. Si vous m’aimez, envoyez-moi ce que vous avez fait ultérieurement de cet ouvrage : c’est mon unique consolation, mon délassement, ma récréation. Vous qui ne travaillez que par goût et que par génie, ayez pitié d’un manœuvre en politique, et qui ne travaille que par nécessité.

Aurait-on dû présumer, cher Voltaire, qu’un nourrisson des Muses dût être destiné à faire mouvoir, conjointement avec une douzaine de graves fous que l’on nomme grands politiques, la grande roue des événements de l’Europe ? Cependant c’est un fait qui est authentique, et qui n’est pas fort honorable pour la Providence.