Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/142

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1515. ‑ À M. ***[1].
Dimanche …

Nous avons une affaire à la cour ; milord Valgrave, informé de vos talents pour la négociation, n’a pu vous savoir parti pour l’Angleterre sans trembler pour le roi son maître. M. le cardinal de Fleury et M. le garde des sceaux ont eu beau jurer qu’ils ne savaient rien de votre voyage, on connaît trop vos liaisons intimes avec eux pour les en croire. Ce qui leur a encore plus mis martel en tête, c’est la bonne grâce du prévôt sur un cheval de poste : ils se sont imaginé que c’était un courrier du cabinet, et à l’air dont il court, ils prétendent même qu’il faut que ce soit celui qui est destiné aux affaires les plus importantes ; enfin, ce qui met le comble à leurs justes alarmes est la réception, dit-on, qui vous a été faite en Angleterre, où les chefs du parti vous sont venus recevoir avec un empressement qui est plus ordinaire à un intérêt vif qu’à la simple amitié.

Tout ceci n’est point une plaisanterie de quelque fou que je débite, et je viens d’entendre tout cela de la bouche du garde des sceaux très-sérieusement. Vous êtes donc supplié de rendre plus de justice à votre mérite de savoir que lui seul, sans le concours d’aucunes dignités ni emplois, rend tous les princes de l’Europe attentifs à vos démarches, et de vouloir bien doréna-

    tyrannie de son père. Il voulait me retenir à sa cour, et vivre avec moi dans une de ses maisons de campagne, précisément avec la même liberté et la même bonté de manières que vous à Wandsworth. Mais il n’a pu l’emporter sur la marquise du Châtelet. Le seul motif qui me retienne en France est mon amitié pour elle.


    Il faut que vous sachiez que mon roi de Prusse, quand il n’était qu’un homme, aimait passionnément votre gouvernement anglais. Mais le roi a changé l’homme, et maintenant il goûte le pouvoir despotique autant qu’un Mustapha, un Sélim ou un Soliman.

    Nous avons reçu hier, à notre cour, la nouvelle que le roi de Sardaigne ne voulait rien entendre aux propositions bourboniennes. Cet arbrisseau ne peut souffrir que l’arbre de France étende ses branches sur toute l’Italie. Je craindrais une guerre universelle ; mais j’espère beaucoup de la tête blanche de notre bon cardinal, qui désire la paix et le repos, et qui les donnera à la chrétienté s’il le peut.

    J’ai vu ici notre ministre ottoman, Sayd Bacha. J’ai bu du vin avec son chapelain, et j’ai causé avec Laria, son interprète, homme de sens, qui sait beaucoup et parle fort bien. Il m’a dit qu’il vous était très-attaché. Il vous aime comme le fait tout le monde. Je l’ai chargé de vous présenter mes respects, et j’espère que le porteur de celle-ci vous dira avec quelle tendresse je suis pour toujours votre très-humble et très-fidèle serviteur.

  1. C’est à tort, croyons-nous, que MM. de Cayrol et François, éditeurs de cette lettre, l’ont mise à l’année 1740. (G. A.)