Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/148

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poésie, quand même les vers alexandrins n’en seraient pas aussi harmonieux qu’on pourrait le désirer.

La reine de Hongrie est bien heureuse d’avoir un procureur qui entende aussi bien que vous le raffinement et les séductions de la parole. Je m’applaudis que nos différends ne se soient pas vidés par procès, car, en jugeant de vos dispositions en faveur de cette reine, et de vos talents, je n’aurais pu tenir contre Apollon et Vénus.

Vous déclamez à votre aise contre ceux qui soutiennent leurs droits et leurs prétentions à main armée ; mais je me souviens d’un temps où, si vous eussiez eu une armée, elle aurait à coup sûr marché contre les Desfontaines, les Rousseau, les Van Duren, etc., etc. Tant que l’arbitrage platonique de l’abbé de Saint-Pierre n’aura pas lieu, il ne restera d’autres ressources aux rois, pour terminer leurs différends, que d’user des voies de fait pour arracher de leurs adversaires les justes satisfactions auxquelles ils ne pourraient parvenir par aucun autre expédient. Les malheurs et les calamités qui en résultent sont comme les maladies du corps humain. La guerre dernière doit donc être considérée comme un petit accès de fièvre qui a saisi l’Europe, et l’a quittée presque aussitôt.

Je m’embarrasse très-peu des cris des Parisiens[1] : ce sont des frelons qui bourdonnent toujours ; leurs brocards sont comme les injures des perroquets, et leurs jugements aussi graves que les décisions d’un sapajou sur des matières métaphysiques. Comment voulez-vous que je trouve à redire que les parents du grand Broglio soient indisposés contre moi de ce que je n’ai point réparé le tort de grand homme ? Je ne me pique point de don-quichottisme ; et, loin de vouloir réparer les fautes des autres, je me borne à redresser les miennes, si je le puis.

Si toute la France me condamne d’avoir fait la paix, jamais Voltaire le philosophe ne se laissera entraîner par le nombre. Premièrement, c’est une règle génerale qu’on n’est tenu à ses engagements qu’autant que ses forces le permettent. Nous avions fait une alliance comme on fait un contrat de mariage ; j’avais promis de faire la guerre comme l’époux s’engage à contenter la concupiscence de sa nouvelle épousée. Mais, comme dans le mariage les désirs de la femme absorbent souvent les forces du mari, de même, dans la guerre, la faiblesse[2] des alliés appesantit le fardeau sur un seul, et le lui rend insupportable. Enfin, pour finir la comparaison, lorsqu’un mari croit avoir des preuves suffisantes de la galanterie de sa femme, rien ne peut l’empêcher de faire divorce. Je ne fais point l’application de ce dernier article ; vous êtes assez instruit et assez politique pour le sentir.

Envoyez-moi au plus tôt, je vous prie, tous les jolis vers que vous avez faits pendant votre séjour à Paris. Je vous envie à toute la terre[3], et je vou-

  1. Voyez la lettre 1516.
  2. Selon le marquis de Valori, Frédéric II fit la paix avec Marie-Thérèse, les 11 juin et 28 juillet 1742, en prenant pour prétexte la triste conduite du maréchal de Broglie, qui perdait l’armée de Bohême. Une intrigue du cardinal de Fleury (voyez une note de la lettre 1526) en fut peut-être plus particulièrement la cause.
  3. « Aucun homme n’est si séduisant dit encore le marquis de Valori, tome Ier,