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1527. — À M. DE CIDEVILLE.
À Bruxelles, le 1er septembre.

Allah, illah, allah ; Mohammed rezoul, allah.

Ce Mahomet, mon très-aimable ami, m’a fait bien coupable envers vous il m’a rendu paresseux.

Me voilà enfin tranquille à Bruxelles, et je profite de ce petit moment de loisir pour m’entretenir avec vous. Je pars demain pour aller trouver à Aix-la-Chapelle le roi[1] qui a changé deux fois le système de l’Europe, et qui pourtant n’est pas puni de Dieu, car il est aux eaux sans avoir besoin de les prendre, et les médecins sont au nombre des puissances dont il se moque. Si notre Mahomet, mon cher ami, eût été représenté devant lui, il n’en eût pas été effarouché, comme l’ont été nos prétendus dévots. Il ne veut pas faire jouer Zaïre, parce qu’il y a trop de christianisme, à ce qu’il dit, dans la pièce. Vous jugez bien que le miracle de Polyeucte n’est pas de son goût, et que celui de Mahomet lui plaît davantage.

Nos jansénistes de Paris, et, surtout, nos jansénistes convulsionnaires, ne pensent point ainsi. Les bonnes gens ont cru que l’on attaquait saint Médard et M. saint Paris. Il y a eu même de vos graves confrères, conseillers au parlement[2] de Paris, qui ont représenté à leur chambre que cette pièce était toute propre à faire des Jacques Clément et des Ravaillac. Ne trouvez-vous pas que ce sont là de bonnes têtes ? Ils croient sans doute qu’Harpagon fait des avares, et enseigne à prêter sur gages. Il y a une chose qui me fait de la peine, mon cher ami, et je vous la dirai c’est que le gros de notre nation n’a point d’esprit. Le petit nombre d’illustres précepteurs que les Français ont eus dans le siècle passé n’a pu encore rendre la raison universelle. Corneille, Racine, Molière, La Bruyère, Bossuet, Fénelon, etc., ont eu beau faire, le petit, le léger, sont le caractère dominant.

  1. Dans l’édition de Kehl on lit : le roi de Prusse. Ces deux derniers mots ne sont pas dans l’original. (Cl.)
  2. Le procureur général Joly de Fleury (mort en 1756), père du fameux Omer Joly de Fleury, avocat général, écrivit à de Marville, les 11 et 13 auguste 1742, au sujet de Mahomet : « On a parlé ce matin, monsieur, dans une chambre du parlement, d’une comédie où quelques-uns de Messieurs ont été, et qu’ils disent contenir des choses énormes contre la religion… Tout le monde dit que, pour avoir composé une pareille pièce, il faut être un scélérat à faire brûler. (Tome Ier de la Police de Paris dévoilée.)