Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/164

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quête ; qu’il avait actuellement cent trente mille hommes de troupes ; qu’il allait faire de Neisse, de Glogau, et de Brieg, des places aussi fortes que Wesel ; que d’ailleurs il était très-bien informé que la reine d’Hongrie doit plus de quatre-vingts millions d’écus d’Allemagne, qui font environ trois cents millions de France ; que ses provinces, épuisées et séparées les unes des autres, ne pourront faire de longs efforts, et que de longtemps les Autrichiens ne seront redoutables par eux-mêmes.

Il est indubitable qu’on avait donné à ce prince des idées aussi fausses sur la France qu’il en a de justes sur l’Autriche. Il me demanda s’il était vrai que la France fût épuisée d’hommes et d’argent, et entièrement découragée ; je répondis qu’il doit y avoir encore plus de douze cents millions d’espèces circulant dans le royaume ; que les recrues ne se sont jamais faites si aisément, et qu’il n’y a jamais eu tant de bonne volonté.

Milord Hindfort[1] lui avait parlé bien autrement, et milord Stair, dans ses lettres, lui représentait, il y a un mois, la France comme prête à succomber. Il n’a cessé de le presser encore pendant le voyage d’Aix.

Malgré la déclaration que M. de Podewils[2] avait faite à la Haye, il y avait même encore, le 30 d’août, à Aix, un Anglais, de la part de milord Stair, qui vint parler au roi de Prusse dans un petit village nommé Boschet, à un quart de lieue d’Aix. On m’a assure que l’Anglais s’en est retourné très-mécontent. Cependant le général Schmettau[3], qui était avec le roi, envoya dans ce temps-lâ même acheter à Bruxelles cinq exemplaires des cartes du cours de la Moselle et des Trois-Évêchés.

Voilà les principales choses dont j’ai cru devoir rendre un compte succinct à Votre Éminence, sans me hasarder à faire aucune réflexion, croyant avoir rempli mon devoir de Français, sans manquer à la reconnaissance que je dois aux bontés extrêmes dont le roi de Prusse m’honore.

Votre Éminence verra d’un coup d’œil le fond des choses dont je n’ai vu et dont je ne peux rendre que la superficie.

Si ma lettre est jugée digne de votre attention, je vous supplie, monseigneur, de ne la regarder que comme le simple

  1. Ambassadeur d’Angleterre auprès de Frédéric ; cité dans le trentième vers de la lettre 1455. Ce diplomate est nommé aussi Hindfort dans les Mémoires de Valori, et Hyndford, dans la Vie de Frédéric II, par Laveaux.
  2. Ministre de Prusse à la Haye ; c’est à lui qu’est adressée la lettre 1614.
  3. Probablement Samuel, comte de Schmettau, passé récemment du service d’Autriche à celui de Prusse, peu de temps après son frère, cité dans la lettre 1353.