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nous convertira tous ; elle était faite pour mener au ciel ou en enfer qui elle aurait voulu. Je compte sur sa protection dans cette vie et dans l’autre. Je me flatte aussi, mon cher monsieur, que vous ne m’abandonnerez pas, et que, quand vous aurez fini la grande affaire du frère[1] d’Athalie et de Phèdre, vous donnerez des marques de votre amitié à votre ancien serviteur, qui vous sera tendrement obligé, et qui vous aimera toute sa vie.


1558. ‑ DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Le 22 février.

Nous avons dit hier de vous tout le bien que l’on peut dire d’un mortel. La salle du souper était un temple où l’on vous faisait des sacrifices. Il faut assurément qu’il y ait quelque chose de divin en vous, car vous récompensez d’abord les bonnes actions dès qu’elles sont faites. Je viens de recevoir, ce matin, une lettre charmante, et qui m’a bien réjoui, n’en ayant point reçu de vous depuis longtemps. J’ai été accablé d’affaires deux mois de suite, ce qui m’a empêché de vous écrire plus tôt.

Je vous demande à présent une nouvelle explication, au sujet de votre avant-dernière lettre[2] car voilà le cardinal mort[3], et les affaires se font d’une façon différente. Il est bon de savoir quels sont les canaux dont il faut se servir. J’ai participé vivement à vos trophées ; il m’a semblé que j’avais fait Mérope, et que c’était à moi que le public rendait justice[4].

Je suis sur le point de partir pour la Silésie, mais ce ne sera que pour peu de temps ; après quoi je renouerai mon commerce avec les Muses. Envoyez-moi, je vous prie, la Pucelle (j’ai la rage de la dépuceler), et votre Histoire, et vos épigrammes, et vos Odes, et vous-même. Enfin, j’espère d’une ou d’autre façon de vous voir ici. Ne me faites point injustice sur mon caractère ; d’ailleurs il vous est permis de badiner sur mon sujet comme il vous plaira.

Adieu, cher Voltaire ; je vous aime, je vous estime, et vous aimerai toujours.

Fédéric.
  1. Louis Racine, que Fleury avait empêché d’être admis à l’Académie française vers 1722, et qui, depuis ce temps-là, végétait oublié en province. (Cl.) Voyez tome XXII, page 178.
  2. Les lettres de Voltaire, dont parle Frédéric dans la sienne, ont été perdues.
  3. Le 29 janvier 1743, dans sa quatre-vingt-dixième année.
  4. Si Frédéric fait allusion à la première représentation de Mérope, qui eut lieu le 20 février 1743, sa lettre doit être postérieure de quelques jours au 22 du même mois. (Cl.)