Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/194

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Je compte, dans quelque temps, avoir l’honneur de vous présenter l’édition complète qu’on commence du peu d’ouvrages qui sont véritablement de moi. Vous verrez partout, monsieur, le caractère d’un bon citoyen. C’est par là seulement que je mérite votre suffrage, et je soumets le reste à votre critique éclairée. J’ai entendu de votre bouche, avec une grande consolation, que j’avais osé peindre, dans la Henriade, la religion avec ses propres couleurs, et que j’avais même eu le bonheur d’exprimer le dogme avec autant de correction que j’avais fait avec sensibilité l’éloge de la vertu. Vous avez daigné même approuver que j’osasse, après nos grands maîtres, transporter sur la scène profane l’héroïsme chrétien[1]. Enfin, monsieur, vous verrez si, dans cette édition, il y a rien dont un homme qui fait comme vous tant d’honneur au monde et à l’Église puisse n’être pas content. Vous verrez à quel point la calomnie m’a noirci. Mes ouvrages, qui sont tous la peinture de mon cœur, seront mes apologistes.

J’ai écrit contre le fanatisme[2], qui, dans la société, répand tant d’amertumes, et qui, dans l’état politique, a excité tant de troubles. Mais, plus je suis ennemi de cet esprit de faction, d’enthousiasme, de rébellion, plus je suis l’adorateur d’une religion dont la morale fait du genre humain une famille, et dont la pratique est établie sur l’indulgence et sur les bienfaits. Comment ne l’aimerais-je pas, moi, qui l’ai toujours célébrée ? Vous, dans qui elle est si aimable, vous suffiriez à me la rendre chère. Le stoïcisme ne nous a donné qu’un Épictète, et la philosophie chrétienne forme des milliers d’Épictètes qui ne savent pas qu’ils le sont, et dont la vertu est poussée jusqu’à ignorer leur vertu même. Elle nous soutient surtout dans le malheur, dans l’oppression, et dans l’abandonnement qui la suit ; et c’est peut-être la seule consolation que je doive implorer, après trente années de tribulations et de calomnies qui ont été le fruit de trente années de travaux.

J’avoue que ce n’est pas ce respect véritable pour la religion chrétienne qui m’inspira de ne faire jamais aucun ouvrage contre la pudeur ; il faut l’attribuer à l’éloignement naturel que j’ai eu, dès mon enfance, pour ces sottises faciles, pour ces indécences ornées de rimes qui plaisent par le sujet à une jeunesse effré-

    Dictionnaire philosophique (voyez tome XX, page 505), Voltaire a répété souvent cette idée.

  1. Dans la tragédie de Zaïre.
  2. Allusion à la tragédie de Mahornet.