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vents qui l’ont battue si souvent en France. Comment, mon cher Voltaire, pouvez-vous souffrir que l’on vous exclue ignominieusement de l’Académie, et qu’on vous batte des mains au théâtre ? Dédaigné à la cour, adoré à la ville, je ne m’accommoderais point de ce contraste ; et, de plus, la légèreté des Français ne leur permet pas d’être jamais constants dans leurs suffrages. Venez ici auprès d’une nation qui ne changera point ses jugements à votre égard ; quittez un pays où les Belle-Isle, les Chauvelin[1] et les Voltaire, ne trouvent point de protection. Adieu.

Fédéric.

Envoyez-moi la Pucelle, ou je vous renie.


1584. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Magdebourg, 25 juin.

Oui, votre mérite proscrit
Et persécuté par l’envie,
Dans Berlin, qui vous applaudit,
Aura son temple et sa patrie.

Je suis, jusqu’à présent, plus errant que le Juif[2] que d’Argens fait écrire et voyager. Nouveau Sisyphe, je fais tourner la roue à laquelle je suis condamné de travailler ; et tantôt dans une province et tantôt dans une autre, je donne l’impulsion au mouvement de mon petit État, affermissant à l’ombre de la paix ce que je dois aux bras de la guerre, réformant les vieux abus, et donnant lieu à de nouveaux ; enfin, corrigeant des fautes et en faisant de semblables. Cette vie tumultueuse pourra durer deux mois, si le lutin qui me promène n’a résolu de me lutiner plus longtemps. Je crois qu’alors je me verrai obligé de faire un tour à Aix, pour corriger les ressorts incorrigibles de mon bas-ventre, qui parfois font donner votre ami au diable. Si alors je puis avoir le plaisir de vous y voir, ce me sera très-agréable ; car je crois,


Pour tout malade inquiété,
À l’œil jaune, à l’air hypocondre,
Exilé par la Faculté
Pour se baigner et se morfondre,
Et se tuer pour la santé,
Que Voltaire est un grand remède ;
Que deux mots et son air malin
Savent dissiper le chagrin,
Et que son pouvoir ne le cède
À Hippocrate ni Galien.

De là, si vous voulez venir habiter ces contrées, je vous y promets un établissement dont je me flatte que vous serez satisfait, et, surtout, d’être

  1. Voyez les notes, tome XXXIII, pages 181, 206-7.
  2. Allusion aux Lettres juives, du marquis d’Argens, et à une épigramme de J.-B. Rousseau.