Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/240

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Vous déridant le front et voulant nous instruire,
Vos vers de Juvénal empruntent la satire.
Contre vous le bigot n’aura pas jeu gagné,
Et de l’hysope au cèdre il n’est rien d’épargné.
Malheur à Mirepoix, si son panégyrique
Se prononce jamais en style académique !
Les arts, qu’il offensa, pour venger leurs chagrins,
Renverseront sa tombe avec leurs propres mains ;
Et la fade oraison que lui fera Neuville[1]
Aura même en sa bouche un air de vaudeville.

Je plains ceux qui ont le malheur de vous offenser, car avec quatre hémistiches vous les rendez ridicules ad secula seculorum.

Je ne vais point à Aix, comme je me l’étais proposé. Vous savez que j’ai l’honneur d’être un atome politique, et qu’en cette qualité mon estomac est obligé de prendre ses combinaisons des affaires européennes ce qui ne l’accommode pas toujours.

Il me semble, mon cher Voltaire, que vous êtes un peu dans le goût de la girouette du Parnasse, et que vous ne vous êtes pas encore décidé sur le parti que vous avez à prendre. Je ne vous dirai rien là-dessus, car je dois vous paraître suspect dans tout ce que je pourrais vous dire. Le tableau que vous me faites de la France est peint avec de très-belles couleurs ; mais, vous me direz tout ce qu’il vous plaira, une armée qui fuit trois ans de suite, et qui est battue partout où elle se présente, n’est pas assurément une troupe de Césars ni d’Alexandres.

Je ne suis point peint, je ne me fais point peindre[2] ainsi je ne puis vous donner que des médailles. Vale.


1604. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Sur l’eau, près d’Utrecht, ce 23 août.

La Haye en Touraine est donc une ville bien célèbre ! Savez-vous, mon cher et respectable ami, que votre lettre adressée à la Haye n’est pas venue d’abord en Hollande ? Je l’ai reçue avec ces belles paroles : « Inconnu à la Haye en Touraine, renvoyée à la Haye en Hollande. » Oh bien ! il n’y aura plus de quiproquo, me voici sur le chemin de Berlin. Le roi de Prusse devait aller à Spa, il devait aller à Aix-la-Chapelle ; il m’ordonne d’aller lui faire ma cour dans sa capitale, et peut-être apprendrai-je, en courant la poste, qu’il a changé d’avis, et il faudra courir en

  1. Anne-Joseph-Claude Frey de Neuville, né en 1693, mort le 13 juillet 1774. Les éditeurs de Kehl lui ont donné le prénom de Charles, dans la dernière note
    de la satire intitulée eeles Chevaux ; et les Ânes.
  2. Voyez la fin de la lettre 1640.