Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/304

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et peut-être les vôtres me serviront-ils mieux. Mais c’est une entreprise que je voudrais très-secrète, attendu les mesures que je dois garder en France. Vos libraires pourraient être sûrs qu’ils seraient seuls dépositaires des pièces que je leur ferais tenir, et que leur édition ferait infailliblement tomber toutes les autres.

Le marché même que je leur propose serait un bon garant.

Si vous trouvez donc, monsieur, quelque libraire à qui cette entreprise convînt, je vous aurais l’obligation de me voir enfin imprimé comme il faut.

Vos réflexions sur le Postquam nos Amaryllis[1] et sur les rois de Naples me paraissent d’un homme qui connaît très-bien les livres et le monde.

Comptez, monsieur, que je suis avec la plus sincère estime, etc.

Voltaire.

1658. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Cirey, le 5 juin.

Vous m’avez écrit, adorable ange, des choses pleines d’esprit, de goût et de bon sens, auxquelles je n’ai pas répondu, parce que j’ai toujours travaillé. Figurez-vous que, pendant ce temps-là, M. de Richelieu envoie au président Hénault, et à M. d’Argenson le ministre, l’informe esquisse de cet ouvrage. J’en suis très-fâché, car les hommes jugent rarement si l’or est bon quand ils le voient dans la mine tout chargé de terre et de marcassites. J’écris au président pour le prévenir. J’espère qu’avec du temps et vos conseils je pourrai venir à bout de faire quelque chose de cet essai ; mais je vous demande en grâce de jeter dans le feu le manuscrit que vous avez. Pourquoi voulez-vous garder des titres contre moi ? Pourquoi conserver les langes de mon enfant, quand je lui donne une robe neuve ?

Je conviens avec vous que le plaisant et le tendre sont difficiles à allier. Cet amalgame est le grand œuvre ; mais enfin cela n’est pas impossible, surtout dans une fête. Molière l’a tenté dans la Princesse d’Élide, dans les Amants magnifique ; Thomas Corneille, dans l’Inconnu ; enfin cela est dans la nature. L’art peut donc le représenter, et l’art y a réussi admirablement dans Amphitryon. Je vous avertis d’ailleurs qu’on a voulu une Sanchette ou Sancette, et que je la fais une enfant simple, naïve, et

  1. Virgile, Bucol., I, 31.