Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/307

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pendant ce temps-là, il faut que la princesse soit supposée tout voir d’un bosquet dans lequel elle est cachée, et dans lequel elle change d’habits. Mme  du Châtelet est fort sévère, et jusqu’à présent je ne l’ai jamais vue se tromper en fait d’ouvrages d’esprit.


1660. — À M. LE COMTE D’ARGENSON,
ministre de la guerre.
À Cirey, le 6 juin.

Comment diable M. le duc de Foix de Richelieu a-t-il pu vous faire lire une mauvaise esquisse, un croquis informe, que je ne lui ai envoyé que par pure obéissance ? Il ne s’agit pas de savoir si cela est bon, mais de prévoir si on en peut tirer quelque chose de bon. Et c’est, monseigneur, ce que je vous demande en grâce de prévoir, si vous m’aimez. Mais comment avez-vous eu le temps de lire cette bagatelle ? Soyez béni, entre tous les ministres, d’aimer les beaux-arts au milieu de la guerre. C’est un mérite bien rare, et qui prouve bien qu’on est au-dessus de son emploi. M. de Louvois n’avait pas ce mérite aussi Poignan disait de lui :

· · · · · · · · · · · · · · · Louvois, ce ministre brutal,
Renvoya d’un coup d’œil Phébus à l’hôpital.

À propos d’hôpital, je vous ai présenté un placet pour un gentilhomme champenois, nommé de Riaucourt, lieutenant dans le bataillon de Saint-Didier, milice, dont le père, capitaine au dit bataillon, vient de crever. La veuve et sept enfants ont un procès dans votre ancienne principauté de Joinville ; quand il faut payer leur procureur, ils apportent leurs poules au marché de Joinville, et les vendent vingt sous pour payer la justice, et meurent de faim. Cependant, point de réponse à mon placet.

Je vous demande en grâce de me protéger auprès du duc de Foix-Richelieu, et de croire que ma petite drôlerie vaut mieux que la petite esquisse qu’on vous a montrée. Triomphez, et je vous amuserai.

Je vous suis attaché aussi tendrement que quand vous n’étiez pas ministre, et non plus respectueusement. Mme  du Châtelet vous présente ses compliments.

Voltaire.