Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/338

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de vos amis, et ce n’est pas la mode de cet hémisphère. Il est vrai que vous êtes fait pour être excepté. Il s’en faut bien qu’on vous ait oublié pendant vos dix ans d’absence ; on parlait toujours de vous à Paris, tandis que vous étiez sur la montagne de Pichincha. Vous avez dû jouir du plaisir d’occuper de vous les deux moitiés du globe. Revenez donc vite à Paris, et faites-vous peindre comme M. de Maupertuis, aplatissant la terre d’un côté, tandis qu’il la presse de l’autre ; on ne dira plus que la figure du monde passe[1] ; vous l’aurez fixée[2] pour jamais. Il est question de vous fixer aussi à la fin, et de venir jouir du fruit de vos travaux, et, surtout, qu’on ne puisse pas dire du succès de votre voyage :

Tout leur bien du Pérou n’étant que du caquet.

Je vous ai écrit plusieurs fois, et, surtout, quand M. Dufaï, votre ancien ami et le mien, vivait encore. Que vous trouverez ici d’honnêtes gens de moins et de sottises de plus ! que vous trouverez de choses changées ! Je me suis fait tant soit peu physicien, pour être plus digne de vous revoir ; mais c’est Mme du Châtelet qui mérite toute votre attention, en qualité de sublime géomètre. Elle s’est mise à éclaircir Leibnitz, ce qui était très-difficile et moi, à embrouiller Newton ce qui était très aisé ; mais elle a été mieux imprimée que moi ; et l’édition des Éléments de Newton, faite en Hollande, est entièrement ridicule. Gardez-vous bien d’en lire un mot ; j’aurai l’honneur de vous en présenter à Paris une moins mauvaise.

Je conçois que vous devez être retenu à la Haye par les agréments de la société ; vous devez être surtout bien content de notre ministre, M. de La Ville. Vous aurez fait de grands dîners chez M. le général Debrosses ; vous aurez dit des galanteries espagnoles à Mme de Saint-Gilles. Avez-vous vu mon cher et respectable ami, M. de Podewils, l’envoyé de Prusse ? Il était bien malade quand il est arrivé à la Haye, et j’ai peur qu’il n’ait pu jouir du plaisir de vous entretenir[3]. La Haye est un des endroits

    en arrivant à la Haye, fut d’écrire à Voltaire, avec lequel il se refroidit neuf ans plus tard, lors de la rupture de ce dernier avec Maupertuis. (Cl.) — Le texte de cette lettre a été donné par M. V. Advielle, Lettres et Poésies inédites de Voltaire, 1872, d’après une copie faisant partie des collections de la princesse Ulrique, à Stockholm.

  1. I. Corinth., vii, 31.
  2. La figure de ce monde passe ; vous l’avez fixée. (Var. Advielle.)
  3. Entretenir, que porte la copie de Stockholm, vaut mieux que entrevoir, que donne Beuchot.